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j’avais toujours présente la fin inévitable. Ces hommes, ces femmes, beaux, rieurs, amants de la vie, se faisaient spectres sous mon regard ; en un clin d’œil je déflorais leur jeunesse et leurs charmes, je les couchais morts dans le cercueil. Il m’est resté de ces temps le dégoût instinctif de tout ce qui finit ; ce dégoût est une misère profonde, une malédiction terrible. Quand je me prends à aimer quelque chose, je me dis que la sensation ne peut durer : et le dédain est là, non pas âpre, non pas superbe, mais bien mélancolique. Mon âme est un miroir lugubre et brisé, où toutes les images de la terre se montrent confuses, effacées presque ; où tout est dévastation.

J’ai lu des livres où je me suis trouvée. Ils me font des trésors funestes. C’est moi, c’est encore moi, me disais-je. Et me cherchant dans ces pages dévorantes, je m’y plongeais avec un délice, une curiosité sauvage. 11 y a telle chose que je n’ai jamais lue sans pâlir. Tantôt écrasée par le sentiment nettement avoué de ma misère, je courbais mon front épouvanté, je pleurais dans mon cœur ; tantôt une joie sombre le soulevait orgueilleux : avoir un peu vécu de la vie de ces élus du malheur, c’était beau. Quelquefois je m’étonnais qu’un autre eût senti avant moi, ce que je m’étais flattée d’avoir senti seule. Pauvres êtres que nous sommes, dans nos détres¬ ses plus encore que dans nos prospérités, nous avons la prétention de subir une loi exceptionnelle, nous nous plaçons dans un monde à part : Être vain et passager! dit Ballanche.

Le travail de mes grandes douleurs est d’ailleurs solitaire ; je n’y associe personne. Quelquefois, me trouvant accablée, j’ai fermé les yeux, j’ai senti qu’il serait doux de mourir avant que la moisson d’angoisses fût achevée, tandis qu’il restait encore quelques sombres