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des coussins sous la tête de nos enfants ; elles dormaient d’un sommeil gracieux. Leurs jeunes et purs visages étaient doux à voir ; je me donnais ce plaisir souvent. Moi seule je restai éveillée. Cette nuit se développait belle, la lune brillait à l’horizon et revêtait la campagne de clartés charmantes, l’infini était dans le ciel. Je vis s’éveiller les voyageurs en même temps que le soleil pa¬ rut. Deux jours seulement encore, et il fallait s’ouvrir cette nouvelle existence! Jé parlai de mes projets ; ils étaient modestes, je voulais donner des leçons. On se¬ coua la tête, on me regarda avec un respect compatis¬ sant. « Il y a bien des personnes qui en donnent. Paris est si vaste ! On y est perdu. —(J’ai des lettres de recom¬ mandation que j’ai acceptées et non sollicitées. —r Madame, on est oublieux dans cette ville. » Un de ces sourires, que la souffrance empreint d’un caractère par- ticulier, fut ma muette réponse. La terreur de l’arenir recommença dans mon âme son travail funeste.

Mes petites, insouciantes,* heureuses, me faisaient mal. La seconde nuit fut pénible, bien qu’elle eût toute la magie de la première. Vint le troisième jour, le dernier qui me jetait, avec ma jeune famille, dans un monde d’incertitudes. Paris ! cria-t-on. Tous accueillie rent ce mot avec bonheur. C’était pour eux le terme d’un trajet désagréable ; ils voyaient des amis empressés, une nuit de doux repos : ce mot me serra le coeur. A ces appréhensions raisonnables s’en joignaient d’extrava-r gantes. 11 me semblait que j’aurais soif à Paris, que l’air me brûlerait. Qu’étaitlaSeinelente, paresseuse, comme notre Saône, comparée aux eaux larges, profondes et rapides de mon fleuve. 11 y avait des nuages à Lyon, les retrouverais-je à Paris? Si l’on m’eût dit que les oran¬ gers fleurissaient librement sous le ciel de la ville étran¬ gère, qu’ils ornaient les rues, j’aurais frémi, je crois.