368 BIOGRAPHIE DES FEMMES AUTEURS.
Cette ardeur pour la lecture était d’ailleurs commune
à toute la famille : ma mère lisait de tout, mon père
aimait de préférence l’histoire et les voyages ; mon frère
ainé, qui avait fait de fortes et brillantes études, décla¬
mait admirablement de beaux discours antiques et la
haute poésie ; le second, bien aimable, était épris des
drames et des vaudevilles.
La dernière année de mon séjour chez mon père fut
pénible. Ma mère, lasse de mes refus de mariage, prit
de l’humeur contre moi, elle me défendit d’apporter au¬
cun livre. Une révolte cachée fut ma réponse. Ne vou¬
lant pas renoncera mes chères habitudes, je m’entourai
de précautions qui pourtant répugnaient à ma nature
fière et loyale. Un mensonge m’aurait dégradée, je ne le
disais pas ; mais je continuais à louer des livres, tous bons
d’ailleurs, et à en acheter. Par une matinée de printemps,
j’acquis Y Histoire universelle de Ségur, 25 vol. in-18. Je
les entrai à deux reprises dans mon chapeau, dans mon
parapluie fermé, et sous mes bras que je tenais serrés
contre mon corps. Ma frayeur était grande ; j’aimais
beaucoup ma mère, mais je la craignais terriblement.
Elle ne s’aperçut de rien. Avant le coucher du soleil, mes
chers petits volumes s’étalaient dans le tiroir d’une vaste
commode.
Un jour je me trouvai mariée.
Cette initiation violente à un état presque inconnu me jeta dans de mornes tristesses. Je cherchais ma vie es¬ pérée, ce n’était pas celle-là. Je cherchais mon rêve si beau, si pur ; il était bien fini : une réalité saisissante en avait pris la place. D’abord, j’accueillis dans mon sein la pitié énervante ; sentant bientôt que le temps des illu¬ sions stériles était] passé, qu’en face de cette destinée sévère, il y avait mieux à mettre que de vains déses¬ poirs, je me relevai forte de volonté et je retrempai mon