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petits chemins tout verts d’Ecully, la fraîche vallée de Beaunan d ; les collines ondoyantes des rives de la Saône et ses îlots fleuris et déserts. Qu’on est bien sur les hauteurs !

Rien de tout cela n’a changé, tout est resté comme dans mes souvenirs ; moi seule je ne suis plus la même….

Le temps réglait notre course. Quand la moitié des heures accordées avait passé charmante et rapide, nous revenions sur nos pas. Ma petite montre nous était d’un merveilleux usage. Toutefois le sentiment vague des joies sans retour agitait ma jeune pensée ; ainsi, quand un lieu avait comblé mon désir et le sien, je lui disais : a Nous ne reviendrons pas ici. »

Elle et moi nous nous voyions dans la semaine, portant notre ouvrage l’une chez l’autre. Indépendamment de la broderie, je donnais des leçons que je n’avais pas cherchées, qui étaient venues me trouver.. Je m’achetais des livres neufs ; je m’entretenais de robes, de chapeaux, presque de tout ; de loin en loin je prenais un professeur ; j’étais vraiment très-riche. Jamais de dettes, jamais d’emprunts ; tout ce que j’avais commandé, tout ce que j’achetais, je le payais aussitôt. Quand j’acquérais un livre, j’étais folle de bonheur. Une fois, mon enivrement fut si grand, que je ne pus pas compter trente-six francs au libraire ; il fallut qu’elle prît ce soin. En revenant, je parlais tout haut dans les rues. Je me rappelle la parole sage d’un vieillard instruit et affectueux : a La folie de l’étude vous préserve d’une folie plus grande. » Je le regardai, je compris un peu : c’était des orages du cœur qu’il parlait. N’étaient-ils pas en moi? Que voulaient dire ces frémissements, ces larmes, ces rougeurs subites, ces rêveries dangereuses et pro¬ longées, ce besoin de livrer ma tête nue à la pluie, aux tempêtes du ciel ? Mon âme était bien une âme de femme.