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Je restai longtemps sous le coup. Puis la misérable, la honteuse facilité des sensations nouvelles, me fit re¬ prendre à la vie. J’ajoutai l’affection qui venait de se briser à une affection vivante. Une jeune fille, plus âgée que moi, hérita de tout. Vous l’avez dit, Hugo : « Les morts durent bien peu …. »

Habituée à sortir seule, je le faisais sans inconvénient Dès que j’avais franchi le seuil de la porte, je protégeais ma jeunesse d’une fierté sauvage ; je m’enveloppais d’une réserve digne et froide, quelquefois même hau¬ taine. Un mot flatteur jeté à mon oreille me troublait comme une insulte, et n’obtenait guère de moi qu’une impression dédaigneuse. J’avais peur dès hommes que je voyais. Leur regard audacieusement fixe, leur poursuite insolente, faisait battre mon cœur de haine autant que de frayeur. Il y avait en moi le sentiment des hautes et pures tendresses ; et je ne trouvais dans leur air que la proclamation d’une confiance égoïste et brutale. L’extra¬ ordinaire rapidité de ma marche, le peu de soin que me donnaient les choses extérieures, tant mon souvenir était occupé me préservaient d’ailleurs. Gomme mon père me semblait au-dessus de tous, pour la courtoisie de ses mœurs, lui qui n’entrait jamais dans la chambre où étaient ses filles sans ôter son chapeau !

Le dimanche redevint pour moi un beau jour. Nous errions elle et moi dans la campagne, sans jamais nous lasser l’une de l’autre. Son caractère avait le positif qui manquait au mien. La naïve exagération de mes croyan¬ ces, la poésie de mon langage, le sérieux que je mettais à tout, la faisaient sourire et invitaient sa fine et douce moquerie ; d’autres fois mon enthousiasme la gagnait ; je dominais alors cette tête séduite. Quand un pré, un coin de buisson, nous plaisait, nous nous y arrêtions pour causer et pour lire. Nous avons vu ensemble les