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quelques sous. Ces livres et d’autres, jaunes, vieux et dé¬ pareillés, ne me satisfaisaient que médiocrement. J’étais d’ailleurs trop délicate et trop fière pour fatiguer mon père et ma mère de mes demandes à cet égard. Ne voyais-je pas tout ce qu’ils s’imposaient de gêne pour nous assurer dans l’avenir une situation moins difficile que la leur ! L’acquisition d’une vigne, d’une terre, était l’orgueil, la joie de mon excellent père ; elle plaisait aussi à la tendre prévision de ma mère : mais cette joie ne venait qu’après celle des dévouements, qu’après les trimestres du collège payés. Que de peines ils acceptaient avec une simplicité courageuse ! Que d’efforts pour faire à leurs enfants une destinée belle et charmante, selon eux ; et plus tard tristement avortée dans la mort ou dans, un labeur agité et misérable !

Un matin, je vis une jeune fille qui brodait du tulle, la pensée me vint de faire comme elle. En moins de quelques minutes, elle m’eut communiqué son savoir. J’en parlai à ma mère ; et avec un demi-consentement, je pris de ces broderies. Dès lors chaque heure eut sa tâche, volontairement remplie, mais inquiète. Ma pre¬ mière somme gagnée à ce vif emploi du temps fut une pièce de cinq francs. Cette pièce de cinq francs me pro¬ mettait pour l’avenir des livres, mes trésors. Je la re¬ gardais vingt fois le jour avec une tendresse, un charme de joie recueillie, que toutes les félicités me donne¬ raient à peine, maintenant que le chagrin a vieilli mon cœur,~que les flots d’amertume y ont creusé de noires profondeurs. Savez-vous la force des regrets ?….

Avec ces travaux délicats commença ma vie de poésie, de solitude et d’indépendance. Seule dans une chambre, où était aussi ma sœur ; étrangère à tous les mouvements importuns, à toutes les causeries vides, j’apaisais Its furieuses ardeurs de l’intelligence, je trompais les in-