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mon père, en me voyant dolente et ennuyée sur mes leçons de grammaire et de géographie, « il faut travailler ; car ton éducation sera peut-être un jour ta seule ressource ; » et je travaillai, mais mollement encore. Une seule chose me donnait du courage à mes devoirs, c’était le désir d’être bientôt libre de courir m’enfermer dans une chambre et d’écrire en fort belle prose les aventures de mes héroïnes, ces chères amies de mon adolescence, que je m’étais vue forcée d’abandonner ; car ma collè¬ gue avait quitté la maison, et ne pouvant plus faire un roman en action, j’avais imaginé d’en faire un en récit. Il fut écrit, copié, revu, corrigé, recopié ; il n’y man¬ quait plus que l’impression. J’avais à peu près seize ans, quand, devant mes sœurs, ma mère, deux de mes com¬ pagnes, une grand’tante, la cuisinière, une ouvrière à la journée, j’en fis un beau, soir la lecture. M. de Cha¬ teaubriand lisant ses Mémoires chez M me Récamier, La¬ martine son Jocetyn chez M me Émile de*Girardin, ne sont pas plus satisfaits de leur auditoire que je ne l’étais du mien. Une légère timidité donnait du charme à ma voix ; bientôt j’aperçus l’émotion qui arrivait aux écouteurs, puis une larme, puis deux, et enfin l’ouvrière éclata en sanglots, ce qui m’a fait penser depuis que mon roman devait beaucoup ressembler à Y Enfant de la Forêt ou à la

Vie d’Isabelle, reine de Pologne, en si grande vogue

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parmi’ les] grisettes ; quoi qu’il en soit, ce début m’en¬ couragea, et l’orgueil s’en mêlant, il me vint à l’idée que ce roman pourrait bien être une source de fortune….. Pauvre roman! feuille à feuille il a servi depuis à couvrir du raisiné et de la marmelade de prunes. Si le ciel m’eût fait naître une M me de Staël ou une George Sand, vous pourriez à présent, mes contemporaines, comme la jeune ouvrière, pleurer sur les malheurs de Ja belle Halida ; car les libraires s’arracheraient mes