Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

même observé les faits, s’est présentée avec une telle garantie de rectitude que plusieurs psychologues n’ont eu aucune difficulté à l’accepter. Il a donc été, pendant un temps, admis couramment que chez certains malades, une activité mentale inconsciente et aveugle peut, à certains moments, se substituer à la conscience, prendre en main les rênes du gouvernement de l’organisme et produire toute une série d’actes compliqués. Cette hypothèse — car c’en est une — a été reprise par un naturaliste anglais bien connu, M. Huxley, et lui a servi à édifier sa théorie de la conscience épiphénomène. À quoi sert la conscience, s’est-il demandé, puisqu’on peut si bien se passer d’elle, puisque le cerveau, pendant son absence, peut accomplir des actes ayant un caractère intelligent ? La conscience est un luxe de l’esprit, c’est une chose inutile, un phénomène surajouté, qui éclaire le processus physiologique, qui le révèle, mais ne le constitue pas. On a donc comparé la conscience à l’ombre qui suit le pas du voyageur, à la lumière qui sort du foyer d’une machine, au timbre qui, en sonnant, nous apprend l’heure marquée au cadran de la pendule ; supprimez l’ombre, la lumière, le timbre, tous ces signes extérieurs, le mécanisme interne qu’ils révèlent n’en fonctionnera pas moins ; et de même, si la conscience, par hypothèse, était supprimée, le cerveau continuerait à fonctionner, les idées se suivraient, et les jugements se coordonneraient en raisonnements comme ils le faisaient auparavant.

On commence à reconnaître aujourd’hui que ces hypothèses sont bien hasardées, et qu’en tout cas les faits qui leur servent de point de départ principal peuvent recevoir une tout autre interprétation. Il n’est nullement démontré que l’activité mentale du sergent de Bazeilles pendant ses crises soit celle d’un pur automate ; loin de là, si on relit avec soin son observation, on rencontre à chaque instant des signes de conscience ; il est même étonnant qu’on ne s’en soit pas rendu compte. Regardons-le, au moment où dominé par le souvenir de son métier de chanteur, il fait