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comme s’il ne s’était point aperçu de la soustraction que nous venions de faire, et il achève sa phrase sans même s’arrêter, sans autre expression qu’un léger mouvement de surprise. Il avait écrit dix mots sur le deuxième feuillet, lorsque nous l’enlevâmes rapidement comme le premier ; et il termina sur le troisième feuillet la ligne commencée sur le précédent, exactement au point où sa plume était restée placée. Nous enlevons de même et successivement le troisième feuillet, puis le quatrième, et, arrivé au cinquième, il signe son nom au bas de la page, alors que tout ce qu’il venait d’écrire avait disparu avec les feuillets précédents. Nous le voyons alors diriger ses yeux vers le haut de cette page blanche ; relire tout ce qu’il venait d’écrire, avec un mouvement de lèvres accusant chaque mot ; puis, à diverses reprises, tracer avec sa plume, sur différents points de cette page blanche, là une virgule, là un e, là un t, en suivant attentivement l’orthographe de chaque mot, qu’il s’applique à corriger de son mieux ; et chacune de ces corrections répond à un mot incomplet que nous retrouvons à la même hauteur, à la même distance sur les feuillets que nous avons entre les mains.

« Quelle signification donner à cet acte d’apparence si singulière ? Il nous semble avoir sa solution dans l’état hallucinatoire qui crée l’idée-image, et donne à la pensée ou à la mémoire une telle puissance de réflexion vers les sens, que ceux-ci, entrant en exercice, donnent soit à la pensée, soit au souvenir, une réalité extérieure. C’est l’hallucination telle que nous la rencontrons dans le sommeil, dans les rêves, dans les névropathies cérébrales. F… relit dans sa mémoire la lettre qu’il vient d’écrire, alors que ses yeux fixés sur cette feuille blanche lui donnent la sensation fausse de lignes qui n’existent pas ; de même que, dans une des précédentes expériences, il avait, présents devant ses yeux, les soldats prussiens dont il surveillait les mouvements, afin de les surprendre à l’heure convenable.

« Sa lettre terminée, F… quitte la table, se remet en mouvement, parcourt de nouveau une longue salle de malades,