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pour prendre une cartouche, il fait le mouvement de charger son arme, se couche dans l’herbe à plat ventre, la tête cachée par un arbre, dans la position d’un tirailleur, et suit, l’arme épaulée, tous les mouvements de l’ennemi qu’il croit voir à courte distance. — Cette scène, pleine de péripéties rapportées avec détails dans le cours de l’observation, a été pour chacun de nous l’expression la plus complète d’une hallucination provoquée par une illusion du tact, qui, donnant à une canne les attributs d’un fusil, a réveillé chez cet homme les souvenirs de sa dernière campagne, et reproduit la lutte dans laquelle il a été si grièvement blessé. J’ai voulu, dans la crise survenue quinze jours plus tard, chercher la confirmation de cette idée, et je ne crois pas possible de mettre en doute l’interprétation, puisque le malade, ayant de nouveau été placé dans les mêmes conditions, j’ai vu la même scène se reproduire à l’occasion du même objet. Il m’a donc été possible de diriger l’activité de mon malade dans un ordre d’idées que je voulais faire naître, en mettant en jeu les impressions du tact, alors que tous les autres sens ne me permettaient aucune communication avec lui.

« Tous les actes, toutes les expressions de F… sont ou la répétition de tout ce qu’il fait chaque jour, ou sont provoqués par les impressions que les objets produisent sur le tact. Il suffit d’observer ce malade pendant quelques heures pour se faire, à ce sujet, une conviction bien assise. C’est en le suivant dans ses pérégrinations à travers l’hôpital Saint-Antoine que nous avons été témoins, M. Maury et moi, de mille faits nés du hasard, mais tous intéressants au point de vue psychologique.

« Nous étions au fond d’un corridor, devant une porte fermée. F… promène les mains sur cette porte, trouve le bouton, le saisit, et veut ouvrir ; la porte résiste ; il cherche la serrure, puis la clef qu’il ne trouve point. Il promène alors ses doigts sur les vis qui fixent la serrure, essaye de les saisir et de les faire tourner, dans le but de détacher la serrure. — Toute cette série d’actes témoigne d’un mouve-