Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/257

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’oubli qui succède au somnambulisme ; il marque bien, à notre avis, que le sujet, au moment précis où l’acte est exécuté, se trouve dans la condition mentale du somnambulisme, puisque le signe psychique principal de cet état, c’est-à-dire l’amnésie qu’il laisse après lui, peut se vérifier à cette occasion.

D’autres expériences, celles de Gurney, de M. Delbœuf, de M. Pierre Janet, de MM. Fontan et Ségard, et les miennes, viennent confirmer cette interprétation, qui, si elle ne s’appuyait pas sur un plus grand nombre de faits, resterait un peu hypothétique.

Chez les sujets du genre de ceux que M. Beaunis a étudiés, l’état somnambulique ne renaît que partiellement à ce moment décisif où la suggestion post-hypnotique se réalise ; ils gardent conscience d’eux-mêmes, et la seule preuve que l’activité somnambulique est intervenue, c’est l’oubli de l’acte. Il est d’autres personnes pour qui, dans les mêmes circonstances, le retour de l’état somnambulique est plus net, plus frappant, plus complet ; il n’y a pas seulement oubli après l’acte, mais inconscience pendant que l’acte suggéré s’accomplit. Le moi normal reste étranger à la suggestion ; c’est en dehors de lui, de sa volonté et de son intelligence qu’elle s’exécute ; et c’est par rapport à lui qu’elle est inconsciente. L’inconscience, ainsi comprise, est une sorte d’oubli anticipé. La perte de conscience, vraie aggravation de la perte de mémoire, contribue à établir définitivement la division des consciences.

Il faut citer quelques exemples. Nous en empruntons un à M. Pierre Janet. « Après avoir étudié sur Lucie, rapporte cet auteur, les suggestions ordinaires pendant l’état hypnotique je lui donnai des ordres à accomplir après le réveil, et je fus frappé de la manière singulière dont elle les exécutait. Elle avait à ce moment l’apparence la plus naturelle, parlait et agissait en se rendant bien compte de tous les actes qu’elle faisait spontanément ; mais, au travers de tous ces actes naturels, elle accomplissait comme par distraction les actes commandés pendant le sommeil. Non seulement,