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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

moyens sont bien mesquins et on se demande avec inquiétude s’il est possible d’en faire sortir une vraie, une haute et profonde leçon de morale. Cette inquiétude est surtout ressentie par ceux qui ont été élevés dans le respect de la morale religieuse. Ils ne comprennent pas qu’une morale laïque puisse s’enseigner, car elle leur paraît dépourvue de fondement, de justification rationnelle et surtout de sanction. Il est bien certain que pour un esprit simpliste, le commandement de Dieu suffit à tout et répond à tout. Mais du moment que l’enseignement officiel est devenu neutre et n’emprunte aucun argument aux religions, comment va-t-on enseigner, par des procédés laïques, la morale aux enfants ? Toute morale se résume en un système de sacrifices qui sont demandés à notre égoïsme. Par quel argument pourra-t-on convaincre des enfants de la légitimité de ce sacrifice si on ne leur parle ni de divinité, ni de vie future, par conséquent si on est obligé de se passer de ces arguments traditionnels, qui sont si vigoureux, si impressionnants, quoique au fond ils soient purement égoïstes, par conséquent peu moraux ?

Je ne peux pas, faute de place, exposer la question dans toute son ampleur ; je veux seulement montrer qu’une éducation morale est possible en principe, sans le secours d’une discipline religieuse.

Les objections qu’on adresse à l’enseignement laïque supposent que l’éducation se fait par la force du raisonnement et des idées. Voilà l’idéal auquel on rêve beaucoup aujourd’hui. On y est arrivé indirectement par réaction contre l’enseignement religieux qu’on a accusé d’asservir les âmes ; on parle sans cesse maintenant dans les journaux pédagogiques des droits que possède la conscience chez l’enfant ; on déclare qu’il faut respecter sa raison, ne pas porter atteinte à son jugement. On a surtout la conviction qu’on outrepasse les droits de l’éducateur lorsqu’on