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LES APTITUDES

générale, conformément à ce principe déjà ancien qui veut qu’un honnête homme ait des lumières de tout. Si un enfant a de la mémoire, surtout visuelle, on ne négligera pas de cultiver sa mémoire auditive. S’il est né praticien, on ne le dispensera pas d’exercices littéraires. À l’appui de ce système de l’éducation intégrale, on invoque deux arguments, l’un pratique, l’autre théorique. Pratiquement, nous dit-on, on rendrait un mauvais service à l’enfant, en faisant de lui un être incomplet, un spécialisé avant l’heure ; car si, pour pousser les choses à l’extrême, il n’est plus capable que d’un métier, par exemple, comment fera-t-il pour se tirer d’affaire le jour où les conditions économiques changeront, et où ce métier lui fera défaut ? Le second argument repose sur cette idée qu’un enseignement même inutile n’est jamais perdu, parce qu’il sert de gymnastique à l’esprit, et qu’il étend nos facultés. On peut citer à ce propos l’excellent exemple qui est fourni par l’enseignement de la philosophie. Il est douteux que cet enseignement trouve des applications pratiques indéniables dans la vie de ceux qui ne seront pas plus tard des philosophes de profession. Les discussions sur le matérialisme et le kantisme ne servent ni dans l’industrie ni dans le commerce. Et cependant beaucoup d’élèves reconnaissent qu’ils ont tiré de la philosophie un bénéfice moral ; leurs idées se sont élargies, ils ont eu la révélation de problèmes dont ils ne se doutaient pas ; ils ont acquis deux qualités, qui à elles seules suffiraient à légitimer le temps passé dans une classe de philosophie. Ces deux qualités sont un peu plus d’esprit critique et un peu plus d’esprit de tolérance.

Nous croyons ces idées très justes, à la condition expresse qu’on ne les exagère pas. Dans la réponse que nous allons faire, il y a d’abord une partie banale sur laquelle nous passerons rapidement, car je pense que c’est un point sur lequel tout le monde est d’ac-