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LES APTITUDES

leur ; les chaises s’approchent inutilement de la cheminée jadis flamboyante !

« Mais lorsque le printemps vient rayonner, et rendre la vie aux arbres, les lilas fleurissent comme l’aubépine, le soleil mûrit les fruits, les oiseaux gazouillent, la vie renaît au sein du jardin qui soupire, avec le zéphir qui caresse les têtes embaumées des lilas ».


C’est toujours la même différence. Ici, plus de concision, plus de vague, plus d’émotion, plus de poésie. Si on fait faire aux deux sœurs par écrit le récit d’une promenade, Marguerite donne un récit copieux, bourré de détails exacts, bien observés, et sans grand commentaire. Au contraire, le compte rendu d’Armande reste bien plus incomplet, plus flou, plus émotif et plus interprété. Il nous paraît évident qu’Armande attache moins d’importance au monde extérieur qu’aux émotions qu’elle en tire.

J’ai cherché à multiplier les épreuves pour voir sous toutes leurs faces ces deux attitudes mentales si curieusement opposées. Je fais écrire à mes deux sujets des mots détachés, et ensuite je leur demande quelle est la signification de ces mots ; l’expérience a été faite, refaite, continuée pendant plusieurs années, sur des centaines de mots ; on note dans la liste de Marguerite une grande abondance de noms d’objets présents, ou de mots désignant sa personne, un grand nombre aussi de mots relatifs à des souvenirs de faits, très peu de mots à sens abstrait, très peu de mots écrits sans penser au sens, et enfin, aucun mot notant une image d’invention. Chez Armande, c’est la proportion inverse ; les mots notant des objets présents et traduisant des observations sont moins nombreux ; les souvenirs sont moins nombreux aussi ; en revanche, les mots abstraits, les mots d’imagination, les mots à demi inconscients abondent. Tout ceci