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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

s’y cantonner, de s’y concentrer, en ne se permettant aucune digression. L’effort nécessaire pour développer l’idée qu’on tient nous rend conscient de notre rôle de créateur ; nous avons le sentiment très net d’être l’auteur de l’œuvre, et nous en assumons toute la responsabilité ; j’entends parler ici de responsabilité non pas au sens juridique ou moral, mais bien au sens intellectuel. Enfin, traitée de cette manière savante, l’idée parcourt une phase complète d’évolution mentale ; elle est d’abord un germe abstrait, une idée vague, un schème, elle se développe lentement, elle grossit, elle s’amplifie, elle se détaille surtout, c’est-à-dire qu’elle s’enrichit d’éléments concrets, précis, sensoriels, vivants ; et nous avons une exacte connaissance de cette évolution, à mesure qu’elle se déroule, puisque c’est nous qui, par notre intervention, la faisons dérouler ; puisqu’elle évolue même, souvent, d’après un scénario que nous avons choisi.

Si le travail intellectuel était toujours de la nature que nous venons de décrire, la morale de l’histoire serait bien simple ; toutes les fois qu’il faut travailler, il n’y a qu’à le vouloir ; plus on travaille, mieux cela vaut ; et pour tout dire, on n’a qu’à rappeler aux élèves cette fameuse recommandation de Newton que depuis notre enfance nous avons appris à admirer « Le génie est une longue patience », et on trouve la solution des problèmes en « y pensant toujours ». C’est une conception qui ne manque pas de grandeur ; elle exalte le libre arbitre et la personnalité. Elle est bien d’une époque où une psychologie simpliste réduisait chacun de nous à n’être qu’un assemblage de facultés passives mises au service d’une volonté toujours libre.

Mais les observations qu’on a faites un peu partout, et dans les circonstances les plus diverses, sur les poètes, les philosophes, les scientifiques, et même sur des êtres très spéciaux, des spirites, des médiums, des hystériques et autres malades, ont prouvé que le