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LES APTITUDES

qu’on rencontre chez des personnes très intelligentes. Je me rappelle un savant qui un jour s’est senti incapable de représenter par le dessin un chien assis ; il ne voyait pas ce que le chien pouvait bien faire de ses pattes. Il y a même des peintres qui dessinent mal et sont surtout coloristes : témoin Rembrandt, qu’il est intéressant de comparer à ce point de vue à Holbein. La question de savoir sur quelle faculté repose le don du dessin est assez obscure, car le dessin en devenant habituel perd beaucoup de ses éléments conscients. Il en est du dessin comme de la parole ; celui qui parle d’abondance et avec facilité ne sait vraiment pas comment il fait pour parler ; il n’a pas une représentation claire de la phrase avant de la prononcer, il ne sait que très vaguement les mots qu’il va employer ; il a plutôt le sentiment abstrait de ce qu’il veut dire, et sa parole se conforme à ce plan. De même, un dessinateur très exercé voit le dessin sortir de son crayon, il sait bien ce qu’il veut faire, mais il a de la peine à expliquer comment il se représente son dessin avant de l’exécuter. Ce qui est bien certain, c’est qu’en quelque manière il faut avoir en soi une notion de la forme pour pouvoir l’exprimer. Cette notion est-elle une représentation visuelle, et dirons-nous qu’un dessinateur doit avoir le don exceptionnel d’évoquer des images visuelles des choses ? Peut-être, et nous préférons en tout cas cette explication à celle qui voudrait faire du dessin un art entièrement moteur, car la mémoire motrice ne peut donner un ensemble de relations spatiales. Mais ce qui importe le plus, ce n’est pas la puissance naturelle de visualisation, c’est l’exercice, le savoir et le goût acquis en visualisant ; grâce au savoir, à l’expérience acquise, on a en soi des plans, des schèmes de dessins, on sait comment se présente l’anatomie d’une personne en telle attitude, et cela facilite énormément l’exécution d’un dessin qu’on