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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

que Mathilde n’a point du tout de mémoire musicale et qu’elle ferait bien d’abandonner le chant ? Non. Tout le monde a de la mémoire ; Mathilde en a, mais elle n’en a pas autant que l’exigent les morceaux qu’on lui fait étudier. La méthode qu’on lui impose est défectueuse. Les morceaux de musique ne sont pas tous de difficulté égale ; il faudrait commencer par cultiver sa mémoire en lui faisant apprendre des morceaux faciles, qui seraient à sa portée ; peu à peu, très lentement, on augmenterait la difficulté du travail. En suivant cette marche, on aurait tout bénéfice. Mathilde ne se découragerait pas et, au lieu d’abîmer sa mémoire musicale comme elle le fait actuellement, elle l’augmenterait.

Voilà quel fut le conseil que je donnai. Mais ce conseil ne fut pas suivi ; il ne pouvait pas l’être ; le professeur de chant ne l’accepta pas. Ce professeur de chant était une dame qui, malgré sa grande instruction musicale et son titre de premier prix du Conservatoire, se faisait une très vague idée de la pédagogie. Lorsque Mathilde lui expliqua qu’elle manquait de mémoire musicale, son professeur l’arrêta et lui parla en ces termes brefs et décisifs :

« Si vous n’avez pas de mémoire, cela prouve que vous n’êtes pas musicienne ; dans ce cas, il n’y a rien à faire ; renoncez à la musique. Vous me dites que, vous avez besoin d’exercer votre mémoire ; exercez-la donc en apprenant l’air du Vallon que je vous ai donné ; tous les morceaux présentent la même difficulté pour la mémoire, car ils sont tous composés des mêmes notes. Vous me dites enfin que vous aimeriez vous entraîner avec des morceaux plus faciles ; je ne puis pas, je ne dois pas vous donner un morceau plus facile ; cela ne me convient pas. Faites ce que je vous dis, ou cherchez un autre professeur. »

Je ne critiquerai pas point par point cette déclaration de principes. Je remarquerai seulement combien