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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

la règle qu’elle suit est de remplacer chaque chiffre par une consonne ; on ajoute à ces consonnes, selon sa fantaisie, des voyelles ; et, de la sorte, on remplace des nombres dénués de sens par des phrases ayant un sens, et se retenant d’autant mieux que leur sens est plus bizarre.

Cela est tellement ingénieux qu’il faudrait prendre le parti de recourir à la mnémotechnie toutes les fois qu’on doit retenir des chiffres et des dates, si les procédés auxquels elle nous oblige n’étaient pas un peu ridicules, et surtout si cette manière de mémoriser ne rendait pas l’évocation un peu lente ; en effet, pour évoquer le chiffre, il faut d’abord évoquer la phrase et opérer la traduction qui nous fait passer de la phrase au chiffre. C’est même ce retard qui permet de dépister celui qui se sert de la mnémotechnie et qui simule la mémoire[1]. Personne ne s’avisera donc d’apprendre par cette manière les chiffres dont on fait un usage constant, et dont la suggestion doit être rapide ; pas de mnémotechnie par exemple pour retenir la table de multiplication.

Ce qui constitue à proprement parler la mémoire des idées est assez difficile à définir, car les différences sont nombreuses qui séparent l’acte par lequel on retient une certaine nuance de sensation, et l’acte par lequel on retient tout un ensemble de choses ; suivant l’un ou l’autre cas, on se place dans une sphère différente. Quand on s’efforce de se rappeler une sensation, c’est la nuance même de la sensation qu’on cherche à fixer dans son souvenir, et pour garder cette nuance aucune phrase ne donne un vrai secours. Au contraire, lorsqu’on exerce sa mémoire d’idées, ce ne sont point des nuances de sensations qui intéressent, c’est plutôt la signification des choses

  1. Voir A. Binet, La Psychologie des grands calculateurs, Paris. Hachette, 1894, 155.