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LA MÉMOIRE

Si je suis moteur, comme c’est le cas le plus fréquent pour les souvenirs verbaux, je ne chercherai pas à me pénétrer de l’aspect visuel de la page que j’étudie, mais je fixerai de préférence ma pensée sur la récitation de la poésie ; quant à l’image visuelle de la page, quant au souvenir de mon travail d’écriture et de calligraphie, quant au souvenir auditif de ma voix, ce sont simplement des adjuvants qui serviront à aider ma récitation intérieure. En fait, c’est ainsi que les choses se passent habituellement. Quand on apprend un morceau, on crée en soi une aptitude motrice à le réciter. L’image visuelle de l’imprimé intervient surtout au moment où on cherche le début du morceau, ou bien lorsque la mémoire nous trahit ; elle fournit une suggestion, une amorce, un cadre ; l’image auditive n’est presque jamais évoquée. C’est la mémoire d’articulation qui constitue le fond de la mémoire verbale.


7o Culture de la mémoire des idées. Il est à remarquer que lorsqu’on cherche à multiplier les ressources d’une mémoire sensorielle, on en change la nature et on aboutit à en faire une mémoire intellectuelle. Chercher l’intonation juste d’un vers ou le calligraphier d’une façon expressive, c’est fixer son attention sur l’idée, profiter de l’intérêt que cette idée inspire et par conséquent dépasser la sensation brute. Parlons maintenant de la mémoire des idées.


Pour bien saisir la différence qu’il y a entre la mémoire des sensations et la mémoire des idées, supposons que nous voulons retenir un nombre qui n’a aucun sens, comme 2385, ensuite un nombre qui a un sens, comme 1830. Le premier n’éveille aucune idée ou presque aucune ; nous disons presque, car il est rare qu’un chiffre, une sensation quelconque ne fasse aucune sorte de suggestion d’idées et reste à l’état