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LA MÉMOIRE

être prévue, que ce sera peut-être mardi soir, ou jeudi, ou samedi, il comprend tout de suite l’inutilité d’apprendre pour un temps, et peu à peu, il sera amené à faire l’effort nécessaire pour apprendre pour toujours. Cela ne vaut-il pas mieux ? Je préfère savoir deux beaux vers pour toute ma vie que vingt-quatre vers qui ne resteront dans mon esprit que pendant une semaine et s’envoleront ensuite sans laisser de traces. La distinction que nous venons de faire entre la mémoire des sensations et celle des idées est extrêmement importante et dominera tout ce qui va suivre.


6o Culture de la mémoire des sensations. Le procédé à employer pour développer la mémoire des sensations a pour but d’augmenter la persistance des sensations dans la mémoire. Cette persistance n’est pas augmentée par la force ou la netteté de la sensation : nous ne nous rappellerons pas mieux une leçon imprimée en grosses lettres que si c’est en caractères plus fins. Mais ce qui donnera plus de force à notre mémoire, c’est une multiplicité, un concert de sensations nombreuses ; si pour se rappeler un élément a, on a reçu trois ou quatre sensations différentes, on a plus de chance de le conserver qu’avec une sensation unique. Des expériences judicieuses, faites surtout sur des écoliers, l’ont bien montré. Revenons à notre exemple d’un morceau de poésie à apprendre. Que se passe-t-il lorsque nous étudions notre livre ? Si nous nous contentons de le regarder, nous n’avons qu’une impression visuelle ; elle est déjà assez compliquée, il est vrai, et d’autant plus compliquée que nous aurons regardé le livre avec plus d’esprit d’analyse. Si nous prononçons à haute voix les mots, à mesure que nos yeux les parcourent, il s’ajoute à l’impression visuelle deux autres impressions sensorielles : une impression auditive, puisque nous enten-