Page:Binet - Les Idées modernes sur les enfants.djvu/210

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA MÉMOIRE

gine, conjecture. Ces opérations varient d’un individu à l’autre par la nature des images mises en jeu et il en résulte que chacun a sa manière propre de penser, même quand il pense à la même chose que d’autres individus. Il y aura donc pour l’idéation comme pour la mémoire des visuels, des auditifs, des moteurs et des verbaux. Mais ici s’ajoute une complication : les différences individuelles d’éducation sont produites non seulement par la qualité personnelle des images, mais encore par leur intensité et leur caractère plus ou moins complet. Si l’on fait une comparaison entre plusieurs personnes, si on demande aux unes et aux autres de se représenter un objet connu, puis de dire si cette représentation ressemble ou non à ce que serait la perception réelle du même objet, dans le cas où cet objet serait présent, on obtient des réponses très variées. Beaucoup de personnes, — presque la moitié, si elles sont encore jeunes, — répondent que leurs représentations ont une force, une netteté, une vivacité qui les rend égales ou presque égales à la vision directe[1]; d’autres trouvent que leurs images sont faibles, pâles, ternes, éteintes, fuyantes, imprécises, lointaines, toutes petites ou fragmentaires, décolorées comme des photographies[2]. Ces dernières formes apparaissent souvent chez les enfants les plus âgés et les plus intelligents, chez les adultes et surtout chez ceux qui s’adonnent à la spéculation abstraite. Ces formes spéciales jalonnent en quelque sorte le développement mental des individus et indiquent à quel niveau supérieur ceux-ci sont parvenus.

Rien n’est plus instructif à cet égard que les com-

  1. Armstrong. Psychological Review, I, no 5, 496.
  2. Dans l’Étude expérimentale de l’Intelligence, j’ai publié deux observations de type d’idéation entre lesquelles ce contraste est bien marqué.