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LA MÉMOIRE

même, ils pourront peut-être reproduire un nombre équivalent de mots et de noms d’objets, mais trois jours après, presque tous les mots seront oubliés et presque tous les objets pourront encore être rappelés[1].

À cette première division entre la mémoire sensorielle et la mémoire verbale s’en ajoute une autre, qui est une subdivision. Tout ce que nous ressentons peut s’exprimer à nous par cinq ou six formes différentes, la forme visuelle, l’auditive, la tactile, la motrice, l’intellectuelle et la sentimentale. Voici, par exemple, quelques chiffres que je cherche à retenir. Je puis, ou bien en retenir la silhouette visible, ou bien m’en représenter le son, ou enfin me représenter le mouvement nécessaire pour les écrire ; dans le premier cas, je me sers de la mémoire visuelle ; dans le second cas, de la mémoire auditive ; dans le troisième, de la mémoire motrice. La différence sera encore plus frappante s’il s’agit pour moi de retenir un air de musique. Visuellement, je puis le retenir par la représentation de la portée musicale ; ce sera une mémoire de lecture par les yeux ; auditivement, par la représentation sonore de l’air ; ce sera une mémoire d’auditeur ; musculairement enfin, par la représentation des mouvements du larynx, ce sera une mémoire de chanteur. Même distinction encore, pour la manière de retenir une pièce de théâtre qu’on a vu jouer ; les uns se représentent par la vue la mise en scène, les décors, les jeux des acteurs ; d’autres entendent de nouveau les paroles, les voix, les timbres. Par leur nature même, semble-t-il, certaines choses font un appel direct à certaines mémoires plus qu’à d’autres ; le choix nous est en quelque sorte imposé du dehors ; mais notre tempérament y ajoute une correction. Ainsi, la notion et le souvenir d’un dessin nous seront sans doute fournis de la ma-

  1. Kirkpatrick. Psychological Review, I, 1894, p. 602.