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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

c’est que le produit de son invention a tous les caractères d’un souvenir exact ; rien ne l’en distingue, ni la précision du détail, ni sa vraisemblance, ni l’état de conviction qui l’accompagne. Nous citions il y a un instant ce fait qu’après avoir regardé un carton couvert d’images, on se trompe sur la couleur d’une de ces images en la rappelant ; sur le carton était collé un timbre de couleur verte ; on s’imagine qu’il est rouge ; c’est un détail précis, naturel, et affirmé avec le même entrain que si le timbre était vert. Nous parlions aussi du récit d’une rixe qui s’était passée rue Pigalle ; un enfant ajoutait : devant le numéro 20. Ce n’est pas un détail vague, flou, quelconque ; c’est un numéro absolument déterminé ; et un avocat qui voudrait plaider la véracité de l’enfant, dirait, selon la formule d’usage : « Voilà un de ces détails qu’on n’invente pas ! » En réalité, l’imagination produit avec une grande fécondité les détails « qui ne s’inventent pas ».

On a repris longuement ces expériences en Allemagne[1], on les a variées de mille manières, on les a approfondies, et on en a fait une science nouvelle, qui s’appelle aujourd’hui la science du témoignage. On a établi par des preuves sans nombre l’exactitude de la proposition suivante, qui est d’une importance considérable : il n’existe pas de témoignage absolument et entièrement véridique. Si on fait déposer un adulte

  1. Dans un livre sur la suggestibilité, où j’avais exposé pour la première fois des recherches expérimentales sur la valeur du témoignage, j’annonçais que ces expériences étaient si importantes que certainement il se formerait un jour une science du témoignage. En effet, ces expériences ont été reprises en Allemagne, et longuement développées et elles ont donné lieu déjà à une littérature très riche, on les désigne d’ordinaire sous le nom de méthode de Stern, nom de celui qui les a pratiquées le second. On trouvera un exposé complet de la question, dû à moi-même, puis à Claparède et à Larguier, dans l’Année Psychologique. (Voir tome XI, p. 128 ; XII, 157 ; XII, 275.)