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LA MÉMOIRE

n’est pas du temps perdu. Le bénéfice que le maître en retire est considérable ; il apprendra à mieux proportionner les devoirs selon la capacité de ses élèves, à ne pas punir pour inapplication un enfant qui souffre d’une faiblesse de mémoire. Il s’évitera ainsi la cruelle injustice qui consiste à ne pas tenir compte de ses efforts à un pauvre enfant qui est doué d’une mémoire ingrate. Toute son éducation morale et moralisatrice se trouvera ainsi orientée dans le sens de la vérité. C’est bien quelque chose.


III

les perversions de la mémoire


Pour qu’un souvenir soit bon, il faut qu’il ait bien des qualités ; mais aucune de ses qualités n’est plus importante que la fidélité. On prendra son parti d’un souvenir qui présente des lacunes, si on a la conscience de ce qu’on ne se rappelle pas, et si on n’a pas une tendance à remplacer le souvenir absent par des inventions involontaires. Un oubli est toujours regrettable, mais quand on le constate on peut souvent le réparer, ou, s’il est irréparable, on se méfie, on se tient sur ses gardes. Mais qu’on songe à toutes les conséquences fâcheuses que peut avoir la conviction d’un fait lorsqu’on croit s’en souvenir et qu’en réalité on se l’imagine !… Je suppose qu’on lise à des enfants le fait divers suivant :

Avant-hier, les agents ont arrêté rue Pigalle un individu qui faisait du tapage nocturne ; on l’a amené au poste, etc., etc.

Les enfants, après avoir écouté attentivement ce récit, sont priés de l’écrire de mémoire. La plupart des rédactions sont quelconques, elles se caractérisent par l’abus du langage enfantin et l’omission de