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LA MÉMOIRE

de mémoire sont parmi les moins intelligents, et on cite le cas extrême d’imbéciles, qui ne pouvaient même pas apprendre à lire, et qui récitaient par cœur des séries de dates, de fastidieuses chronologies qu’on leur avait apprises ; d’où l’on conclut que plus la mémoire est grande, plus le jugement est petit.

Bien que toutes ces critiques et ces opinions préconçues renferment une part de vérité, elles ne doivent pas être acceptées au point de nous faire méconnaître que la mémoire est à la base de toute espèce d’enseignement ; apprendre, c’est exercer sa mémoire, c’est acquérir des souvenirs ; quiconque a peu de mémoire n’apprend presque rien ou apprend mal. Et même, on peut aller jusqu’à dire qu’aucun progrès n’est possible dans un esprit qui est incapable de retenir ce qu’il a perçu ou conçu. Certainement, la mémoire est une des plus puissantes facultés mentales, et si on cherche comment elle est distribuée dans l’humanité, on verra que c’est proportionnellement à l’intelligence.

Il est peut-être difficile de s’en rendre compte, si on n’a en vue que des types moyens d’humanité, chez lesquels les facultés présentent peu de variations d’étendue ; mais, pour peu qu’on examine des types accomplis, comme un Leibnitz ou un Goethe, on voit que ces admirables intelligences avaient en même temps une intelligence encyclopédique ; ils n’étaient étrangers à aucune pensée de leur temps, ils ont fait de grandes synthèses, ils ont dû beaucoup savoir, beaucoup retenir, et, par conséquent, posséder une mémoire grande. Leur mémoire a facilité leurs travaux mieux que ne le ferait une immense bibliothèque ; car, pour se servir de ses livres, il faut, non seulement les ouvrir à la page voulue, mais avoir l’idée de l’endroit où se trouve le renseignement nécessaire, tandis que la mémoire est comme un grand livre animé et intelligent, qui ouvre lui-même ses pages