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INTRODUCTION

après quarante ans, et Binet aurait dû s’en servir avec beaucoup de précaution, ainsi que de ceux de Dorat. Non seulement il ne semble pas l’avoir fait, car il confond à plusieurs reprises Henri dauphin et le même Henri roi, mais il a parfois mal interprété, ou dénaturé après leur mort, ce qu’ils lui ont dit (par exemple sur la représentation du Plutus), de même qu’il a parfois mal interprété le texte même du poète (par ex. un passage de l’Elegie à R. Belleau sur Loys de Ronsart)[1]. Si des témoignages devaient être contrôlés et critiqués, c’étaient assurément les leurs.

Par contre, il a pu sans grand risque enregistrer tel quel celui de Jean Galland. Pour les derniers mois de la vie de Ronsard passés aux prieurés de Croixval et de Saint-Cosme, surtout pour les derniers jours que Binet raconte avec force détails précis, évidemment Galland fut sa grande source de renseignements. C’est lui qui raconta aux amis du poète tout ce qu’il avait entendu dire aux témoins de cette longue agonie et ce qu’il avait vu de ses propres yeux dans le Vendômois en novembre, à Tours en décembre 1585. Aussi l’information de Binet sur cette partie de la biographie peut-elle être considérée comme à peu près exacte, ainsi que le récit qu’il nous fait des obsèques solennelles, dont il a été le témoin oculaire et même un des acteurs les plus importants.

Entre la jeunesse et la mort de Ronsard il s’est écoulé quelque trente ans sur lesquels Dorat, Baïf et Galland ne semblent pas avoir beaucoup éclairé le biographe. Les additions du troisième texte, assez nombreuses pour cette période, ne peuvent guère venir de Dorat ou de Baïf, qui étaient morts quand il le revisa, ni de Galland, qui en réalité n’a bien connu que le Ronsard des dernières années. Restent Estienne Pasquier et Amadis Jamin.

Le premier, un des plus illustres survivants de la Brigade, avait écrit dans ses Recherches, à la date de 1586, au moins un chapitre sur Ronsard, qu’il conservait manuscrit avec les livres III à VI en attendant le moment opportun de les publier ; nous savons par lui-même qu’il les « communiquait » volontiers « aux amis qui lui faisaient l’honneur de le visiter »[2]. On pourrait donc croire que Binet, qui était de ses amis, s’est amplement renseigné auprès de lui. Pourtant, si l’on compare la biographie de Binet avec les chapitres correspondants des Recherches, on s’aperçoit qu’il n’y a pas eu de communication. Il est vrai que Pasquier « ordonnait le silence » à ses visiteurs sur les dits manuscrits ; mais, cette considération mise à part, Binet ne pouvait-il pas faire parler Pasquier et ne pas se croire obligé au même silence sur ses renseignements oraux ? Je pense que Binet n’en eut même pas la possibilité, car tout paraît indiquer que ses relations avec Pasquier, très amicales jusqu’en 1585, s’arrêtèrent brusquement cette année-là ou la suivante, du fait même de Pasquier, qui aurait été mécontent de voir un confrère bien plus jeune que lui accaparer le poète en ses dernières années au point de devenir le dépositaire de ses papiers, le promoteur de son « tombeau »,

  1. V. ci après, Commentaire, pp. 62 et 102-103.
  2. Lettres, liv. IX, lettre ix, À Monsieur de la Croix du Mans (éd. de 1723, tome II, col. 240).