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COMMENTAIRE HISTORIQUE

cace de son Oraison fun., n’apparaît qu’à partir de la 5e édition (1611), ainsi que toute la phrase qui le contient, depuis : « Et vous souviendrez... »

Dans cette phrase insérée après la mort de Desportes, Du Perron déclare que « le dessein de ces funerailles fut pris » chez Desportes. Si cela veut dire, comme l’a cru Marty-Laveaux, qu’on y décida de faire la cérémonie funèbre en l’honneur de Ronsard, c’est une erreur de Du Perron, car Galland en a revendiqué l’initiative soit par la plume de Binet, soit par la sienne ; en outre J. Velliard (dédicace de sa Laudatio funebris) et J. de Thou (Hist., LXXXII, fin) ont dit expressément que ce fut Galland qui projeta et organisa cette cérémonie. Marty-Laveaux, en attribuant cet honneur à Desportes, a été trompé par le texte très postérieur de Du Perron, ou l’a mal interprété. Je croirais plutôt que Du Perron a voulu dire qu’on arrêta chez Desportes, d’accord avec Galland, au dîner du 18 février, le plan de la cérémonie. En fait d’initiative, Desportes eut seulement celle de « faire entreprendre » ce soir-là à Du Perron l’Oraison funèbre de Ronsard, qui fut par conséquent composée en moins d’une semaine ; voilà ce qui ressort nettement de la dédicace primitive de ce discours.

P. 37, l. 25. — Musique du Roy. Le Requiem en cinq parties chanté aux funérailles de Ronsard a été récemment remis en lumière par M. Julien Tiersot, à la fin de sa brochure sur Ronsard et la musique de son temps, pp. 72 et suivantes : « Le poète, dit-il, ne fut pas seulement célébré par la parole ; il le fut aussi par la musique : un Requiem fut composé tout spécialement pour la circonstance. Cette œuvre eut pour auteur un jeune compositeur qui, pour ses débuts, avait été l’âme musicale de cette Académie de Baïf dont la fondation était encore due à l’influence des idées de Ronsard et de la Pléiade sur l’union de la musique et de la poésie « Or tant de poètes qui florissoient alors ne sembloient produire leurs gentillesses que pour les faire vivre sous les airs de Mauduit. » Ainsi s’exprime le P. Mersenne, dans l’Eloge de Jacques Mauduit, excellent musicien, qu’il imprima à la fin du premier volume de son Harmonie universelle. « La première pièce qui fit paroistre la profonde science de ses accords, ajoute Mersenne, fut la messe de Requiem qu’il mit en musique et fit chanter au service de son amy Ronsard, en la célèbre assemblée de la chapelle du Collège deBoncourt, où le grand du Perron se fit admirer par l’Oraison funèbre de ce prodigieux génie de la poésie. » Le livre de Mersenne est de 1636 : déjà Malherbe était venu, et c’est dans l’année même que Corneille donna le Cid. Et pourtant on vient de voir comment un homme d’esprit supérieur savait encore parler de Ronsard. Ainsi par la musique le poète touche à deux siècles. À l’heure de ses débuts il avait eu pour premier collaborateur le vieux Janequin, le musicien de François Ier, le chantre de Marignan ; puis tous les maîtres de son temps avaient tenu à honneur de lui apporter l’hommage de leurs harmonies et d’en orner ses vers. Un plus jeune écrivit les accords funèbres qui retentirent autour de sa dépouille ; et voilà que plus de 50 ans après sa mort nous trouvons encore un éloge catégorique sous la plume du plus savant musicien qu’ait connu le nouveau siècle, Mersenne, l’ami de Descartes.