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savais que c’était ce roman là, je ne me suis pas dit en paroles que c’était le roman de David Copperfield. Je le savais sans me le dire. »

C’est surtout dans l’idéation d’Armande qu’on rencontre des cas où l’imagerie n’est pas adéquate à l’idéation. Sans aller jusqu’à dire qu’Armande pense une chose et s’en représente une autre, on peut citer un grand nombre de ses pensées pour lesquelles les images se sont développées à côté. Je prononce le mot éléphant. Elle visualise l’embarcadère des enfants au Jardin d’Acclimatation pour monter sur l’éléphant ; mais le pachyderme est absent ; il est représenté par son nom, qu’Armande voit écrit (image visuelle typographique). Une autre fois, je lui dis le nom de Cl…, femme de chambre bien connue. Elle dit : « Je me représente l’appartement de B. M… (où se trouve cette personne) près de la porte de la salle à manger ; seulement je ne me représente pas Cl… ; je pense à elle sans me la représenter. » L’accessoire est visualisé, le principal ne l’a pas été. Je lui dis le mot : côtelette. Elle se représente une course à bicyclette pour aller chercher les côtelettes du déjeuner ; c’est un souvenir, dans la vision duquel figure un angle de rue et le mur rouge de la boucherie ; mais la côtelette n’a pas été représentée. Une autre fois, elle est amenée à penser à nos voisins, qui habitent une propriété avec grand jardin ; elle ne se les représente pas, elle se représente seulement leur jardin, et ils n’y sont pas. Une fois sur quatre, Armande a de ces ratés d’image ; c’est comme quelqu’un qui tirant à la cible touche à côté. Ce fait bien particulier tient sans doute à ce que l’imagerie sensorielle d’Armande évolue très rapidement, et presque indépendamment de sa volonté. Nous avons vu du reste qu’elle se plaint sans cesse d’être obligée de lutter contre ses distractions. Marguerite est bien plus habile à diriger l’image. Dans d’autres circonstances, la nature même de l’image diffère de la nature de la pensée, bien que la différence ne