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eu que des idées. » Elles ont d’abord employé toutes deux sans se concerter la même expression pour indiquer qu’elles avaient fait un acte de pensée qui ne consistait pas en images, elles ont dit : ce sont des réflexions. Quelquefois encore elles ont dit : des idées ou des pensées. Sur la nature de ces pensées elles ne pouvaient me donner beaucoup de détails.

Voici cependant un exemple particulier où Armande a expliqué la distinction entre la pensée et l’image. Je lui dis le mot demain. Elle répond : « D’abord, je cherche sans image quel jour ce sera, et ce que nous ferons. Je pense aussi que c’est la veille de jeudi. — D. Quelles images ? — R. J’ai eu une image très vague de la salle à manger. C’étaient surtout des pensées. — D. Dis ce que c’est qu’une pensée. — R. Ça se traduit par des mots et des sentiments, c’est vague (après réflexion), c’est trop difficile. — D. Voyons, du courage, explique encore. — R. Ça se présente de plusieurs manières. Quelquefois brusquement, sans que je m’y attende. D’autres fois succédant à d’autres pensées. D. Est-ce que tu te sers de mots pour penser ? — R. Quelquefois, mais cela m’est beaucoup plus facile de me servir de mots, c’est plus précis. Je m’aperçois à peine que je pense, quand je ne me sers pas de mots. »

On voit qu’Armande a bien observé l’importance du langage intérieur.

Donc, je me suis attaché à déterminer quelle relation existe entre ce qu’on pense et ce qu’on se représente, et de quel secours est l’image pour la pensée. C’est la pensée que je prends comme point de départ dans cette étude ; je cherche à la définir d’après tout ce que mon sujet m’en apprend ; puis, cette pensée une fois définie, je cherche dans quelle mesure des images ont concouru à sa formation. Allant de suite aux extrêmes, je me demanderai : Peut-on penser sans images ? Cette question concise se subdivise en deux questions secondaires : ou la pensée