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de Marguerite, si la différence des écritures ne rendait pas le diagnostic très facile ; quant aux autres mots, qui composent en majorité les séries, ils appartiennent au langage usuel, et ne diffèrent point de ceux de Marguerite ; on peut en juger ; il suffit de jeter un coup d’œil sur une série complète d’Armande, comme celle-ci :

Table, porte, habit, poule, renard, armoire, tapisserie, poisson, jardin, courrier, arbre, cheval, lapin, chenil, ombre, ciel, nuage, feuille, bouteille, chaise, œil, chemin, crayon, terrain, mine, or, tiroir, air, pluie, voile, tempérament, photographie, oreille, regard, moquerie, etc., etc.

Il y a dans cette série d’Armande des mots terre à terre et familiers, comme dans la série de Marguerite ; et de temps en temps apparaît un mot plus rare, comme courrier, tempérament, moquerie. Je ne pense pas que ces mots aient été cherchés plus que les autres, et qu’ils trahissent quelque prétention d’esprit ; Armande a des défauts, certes, mais elle n’a pas celui-là. Du reste, elle écrivait sa série de 20 mots constamment plus vite que sa sœur, elle faisait courir sa plume à bride abattue, ce qui se concilierait mal avec une recherche de préciosité verbale.

On pourra objecter à mes interprétations qu’elles ont un caractère tant soit peu arbitraire. Apprécier la dignité sociale des mots, dira-t-on, c’est faire de la critique littéraire beaucoup plus que de la science. On aura raison. Tel mot dont je fais une expression de lettré sera jugé par d’autres pour un mot de petit boutiquier ; on tombe dans l’arbitraire quand on n’a pour critérium qu’une impression personnelle. Aussi, ne voudrais-je pas me risquer à établir des classes sociales dans le vocabulaire de notre langue, si je n’avais pas une méthode de classement plus précise, reposant, par exemple, sur l’observation directe du parler. Mais ici je m’occupe d’une toute autre affaire ; je ne cours pas le même danger d’erreur, parce que je compare le langage de deux personnes, en vue de dégager leur indi-