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5o Abstractions.

Nos sujets, n’ayant reçu aucune culture philosophique, ne peuvent comprendre que confusément le sens des mots général et abstrait ; et nous ne chercherons pas dans ce chapitre à pénétrer leur pensée ; nous nous en tiendrons à une constatation très sommaire ; ce qui est évident pour moi qui les ai interrogés, c’est que, dans un certain nombre de cas, l’idée qui leur vient n’est point particularisée ; leurs idées abstraites et générales se distinguent des souvenirs en ce qu’elles ne correspondent point à un objet individuellement déterminé ; c’est dans ce sens seulement que nous prendrons les mots abstrait et général, au moins provisoirement.

Voilà la forme la plus fréquente sous laquelle mes deux filles ont donné une signification générale ou abstraite aux mots. C’est le cas le plus fréquent, ce n’est pas le seul. De temps en temps, Armande a donné un sens un peu différent, que je n’avais pas prévu, que je n’ai pas compris, et que, par conséquent, je n’ai nullement suggéré ; Armande, dans ces cas spéciaux, et très rares, pensait à quelque chose de bien particularisé, mais elle pensait à l’ensemble, et non au détail. Ainsi, une fois, elle a l’idée du règne de Napoléon et des gloires de l’empire. C’est une idée d’ensemble, dans laquelle aucun détail n’émerge.

Chez Marguerite, le nombre des idées générales constitue une minorité infime, elle a écrit seulement 12 mots à signification abstraite sur 320 ; ces mots se rencontrent dans les premières expériences ; après la sixième, elle n’en écrit plus un seul. Pour le dire en passant, Marguerite, au cours des expériences, n’a pas cessé d’accentuer son type d’idéation ; à la première épreuve, elle réunissait presque toutes les catégories de mots ; puis elle en a éliminé une bonne part, ne conservant que deux catégories