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Les écarts entre les temps reproduits par Armande et ses temps normaux sont sensiblement plus petits que ceux de Marguerite ; Armande se rend mieux compte des petits intervalles de temps ; et, encore, les différences sont-elles plus grandes qu’il ne faudrait ; car les chiffres précédents résultent d’une séance où Armande se disait mal en train.

Marguerite ne cesse de répéter qu’elle ne sait pas comment faire ni sur quoi se guider ; elle trouve l’expérience très difficile, dit qu’elle répond au hasard ; elle attend, se demande si elle n’a pas attendu assez longtemps. Elle n’a jamais compté, supposant à juste titre que c’eût été tricher. Une fois, elle a essayé de se représenter les secondes sur la montre en marche ; une autre fois, elle a voulu imaginer le mouvement d’un bateau, qui se balance, mais elle n’a pas réussi ; elle regrette souvent de ne pas marquer elle-même le premier intervalle ; « je suis sûre, dit-elle, que je pourrais bien mieux si je tapais en même temps que toi. » Armande a plus souvent confiance dans l’exactitude de ses appréciations ; elle explique tout autrement les procédés dont elle se sert. Je transcris demandes et réponses. « D. Comment fais-tu pour mesurer le temps ? ― R. Pendant que tu faisais cela (c.-à.-d. pendant que le temps normal était frappé) je me suis dit : c’est déjà long, etc. J’essaye de me dire les mêmes choses, de repasser par les mêmes sentiments, pour avoir le même temps. » Cette explication a été répétée deux fois, à peu près dans les même termes, dans une autre séance. Il semble que le procédé de Marguerite, quand elle arrive à en trouver un, est objectif ; c’est une représentation de mouvement ; le procédé d’Armande, au contraire, est subjectif ; elle s’étudie elle-même, elle porte son attention sur ses états de conscience, et cherche « à se dire les mêmes choses ou à passer par les mêmes sentiments ». Cette explication, ajoutée aux résultats, nous conduit à admettre que les expériences précédentes sont une preuve de la différence