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Les quelques faits que je viens de relater me semblent bien suffisants pour démontrer que chez Armande la vie intérieure est plus importante que chez Marguerite. J’ajouterai cependant le compte-rendu de quelques expériences précises que j’ai faites sur les deux sœurs, en vue d’une toute autre fin, et qui me semble prêter un appui à l’interprétation précédente.

Je me suis convaincu que Marguerite se rend beaucoup plus exactement compte que sa sœur de la position et de la distance des objets ; Armande est plus habile à percevoir les petits intervalles de temps. On voit de suite le rapport de ces expériences avec les vues précédentes. Quelle que soit l’origine profonde de la notion d’espace, nos perceptions de distance et de position appartiennent à la connaissance du monde extérieur ; elles renferment un des caractères les plus frappants de l’extériorité, et c’est surtout lorsque notre conscience prend une direction objective que nous avons une forte impression de la distance et de la position des corps ; l’expression la plus claire de la distance nous est donnée lorsque notre corps entier ou une partie seulement, par exemple notre main, se meut d’un point à un autre, ou que notre vue se fixe successivement sur les objets et parcourt leur distance.

Il en est tout autrement pour les perceptions du temps ; elle peut nous être donnée, sans doute, par la connaissance du monde extérieur ; mais, en outre, nous la trouvons en nous-même, dans le monde intérieur de notre conscience, puisque nos états de conscience se succèdent dans le temps. Il est donc intéressant de montrer que l’objectivisme de Marguerite s’allie avec une juste perception des distances, et que le subjectivisme d’Armande s’allie à une perception très sûre des intervalles de temps.

La question est trop complexe et trop obscure pour qu’il me soit permis de rien affirmer de précis ; y a-t-il là une relation de cause à effet, une coordination d’aptitudes ana-