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contact épais ne peut pas être produit par la piqûre d’une pointe unique, car il sait que la sensation d’une pointe unique est plus fine ; interprétant sa sensation, il suppose qu’elle doit être produite par deux pointes rapprochées ; conséquemment, il répond : deux pointes. Ici, la sensation subjective et la réponse sur le fait objectif ne se copient pas : il y a une grande différence.

Il n’est pas douteux que certains esprits sont faits plutôt pour l’externospection, tandis que d’autres, les mystiques par exemple, sont caractérisés par l’intensité de la vie intérieure : cette différence d’aptitude des esprits est peut-être très importante, et je suis heureux de l’occasion qui m’est fournie de l’étudier ici. Mes deux fillettes représentent assez exactement les deux types opposés. J’ai souvent dit de Marguerite qu’elle tient de l’observateur et d’Armande qu’elle tient de l’imaginatif ; c’est vrai, mais à une nuance près : on peut être un imaginatif avec un grand développement de vie extérieure ; Armande me paraît appartenir à une catégorie spéciale d’imaginatif, l’imagination des subjectifs.

Comment ai-je été mis sur la voie de ce type mental ? D’abord par beaucoup de petits faits. Jusqu’ici, dans les descriptions du monde extérieur, nous avons remarqué la précision de Marguerite, le soin avec lequel elle se rend compte de chaque chose, le clair regard qu’elle pose sur le matériel ; c’est Armande qui restait dans le vague et dans le poétique : ses descriptions d’objets en font foi ; et du reste, dans leur existence de chaque jour, elles donnent la preuve de cette différence d’aptitudes.

S’il s’agit d’un renseignement de monde extérieur, c’est surtout à Marguerite qu’il faut s’adresser. Il en est tout autrement pour le monde invisible, c’est-à-dire le milieu psychologique dans lequel vit notre pensée. La description d’un état de conscience est beaucoup mieux faite par Armande que par sa sœur. J’ai longtemps eu des exemples