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on ne peut guère attribuer la différence des résultats à la nonchalance d’Armande ou à de la mauvaise volonté — ce qui du reste ne me paraissait nullement probable ; et encore une fois, je me crus autorisé à conclure qu’Armande a une moins bonne mémoire que sa sœur.

Tout allait bien, tant que je me bornais à cette première forme d’expérience, et les résultats arrivaient chaque fois, tels que je les avais prévus et désirés, nets et concordants. Mais tout changea lorsque je m’avisai de faire une petite modification. Au lieu de faire apprendre par cœur des séries de vers, je voulus faire apprendre des séries de mots détachés, des substantifs écrits les uns à la suite des autres et ne présentant par leur liaison aucun sens.

C’est une méthode que j’ai décrite autrefois dans un article publié en collaboration avec Victor Henri, et qui nous avait servi principalement à distinguer la mémoire des sons et la mémoire des idées[1]. J’écrivis avec soin, en caractères lisibles, des listes de noms communs (la plupart désignant des objets usuels et bien connus) et je lus ces listes de mots, sans intonation, avec une vitesse déterminée, à mes deux jeunes filles, après les avoir averties qu’elles devraient écrire de mémoire tous les mots qu’elles se rappelleraient. C’est une expérience que j’ai répétée un grand nombre de fois, au cours d’une année, et de temps en temps je la modifiai légèrement, tantôt les mots étaient lus par moi, tantôt ils étaient présentés au sujet, qui devait les lire et les étudier pendant un temps donné, tantôt les séries comprenaient 20 mots, tantôt elles en comprenaient 40. J’ai répété cette épreuve 7 fois, avec des intervalles de plusieurs jours, de plusieurs semaines, et même de plusieurs mois. Mon insistance provenait de ce que je n’obtenais nullement les résultats attendus. Je partais de ce fait que Marguerite a une meilleure mémoire, et par conséquent je supposais qu’elle retiendrait un plus grand nombre de mots

  1. Année psych., I, p.1.