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mande. Celle-ci écrit : « Souvent, lorsque je ne fais rien, je pense à ce qui arrivera plus tard, ce que nous ferons dans quelques jours, ou je passe en revue ce que nous avons fait. Je pense si la semaine sera encore longue, combien de jours il faudra pour arriver à telle date. Je pense aussi à un moment de la journée à venir, et je me dis : Il est certain que cette époque arrivera, qu’elle ne reviendra plus jamais. » Ainsi, chez Armande, la rêverie est un état familier, puisqu’elle n’hésite pas à en parler ; de plus, elle ne cite point de faits précis, elle reste toujours vague dans ses exemples ; enfin elle paraît avoir des préoccupations logiques ou psychologiques (sur l’arrivée d’une date et son retour impossible) que nous ne rencontrons pas chez sa sœur. En résumé, nous avons d’une part : une fillette dont l’esprit, bien éveillé, contient des faits précis, exacts, c’est Marguerite ; et une autre fillette dont l’esprit, plus rêveur, contient des idées plus indéterminées ou des préoccupations de nature mentale, c’est Armande.

J’insiste en passant sur l’utilité qu’on trouve à rechercher si une personne a de l’aptitude aux rêveries pendant la veille ; en général, cet état de rêverie se reconnaît à deux signes : le sentiment qu’on ne conduit pas sa pensée, et la perte de conscience du milieu. J’ai réuni plusieurs observations sur cette question. Il y a des personnes qui ignorent complètement l’état de rêverie ; Mme X…, par exemple, femme intelligente et qui s’analyse bien, n’a jamais eu de rêverie jusque dans ces derniers temps, où, par suite d’une anémie profonde qui l’empêche de lire et la rend souvent oisive, elle s’est mise à rêvasser ; une autre personne, Mlle Ch…, qui spontanément m’avait décrit des rêveries si complètes que lorsqu’elle en sortait elle avait peine à reconnaître son corps et les objets environnants (elle regarde son bras, par exemple, en se disant : est-ce là mon bras ?) a perdu cette aptitude depuis quel-