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près impossible ; et tout ce qu’on pourrait faire, c’est de la critique littéraire.

Prenons par exemple la rédaction sur le sujet suivant : La mort d’un chien.

Voici le commencement de la rédaction de Marguerite.

6 heures du soir, à Paris…

Il pleut, c’est un vilain temps d’hiver, on est au mois de janvier…

La boue couvre la chaussée, les trottoirs sont de vrais ruisseaux…

Les passants sont rares, et ceux qui passent encore n’ont pas un regard de pitié pour l’être malheureux qui gît à terre souillé de boue, grelottant de froid sous un banc de bois qui lui sert d’abri…

Un seul cependant lui jette un regard de compassion en murmurant :

— Pauvre bête !…

Le récit de Marguerite a 8 pages bien remplies ; il a l’allure d’un feuilleton de petit journal, avec ses petits points, ses phrases coupées, ses détails précis et pratiques, et un ton de mélodrame.

Voici le commencement du récit d’Armande :

La mort d’un chien, durée : 16 min. 15 secondes. — C’était par une froide matinée du mois de janvier. La neige et le givre couvraient les chemins, les maigres arbres étendaient avec désespoir leurs branches dépouillées vers le ciel. La Seine était gelée, on aurait presque pu patiner dessus. À l’angle d’un pont se tenait blotti contre la froide pierre un vieillard aveugle. Il s’emmitouflait de son mieux dans un fichu humide de brouillard et tout percé par le temps.

D’un moment à un autre il baissait la tête comme s’il regardait à terre ; comme si ses yeux eussent pu voir encore.

De temps à autre aussi un faible gémissement s’échappait de ses lèvres glacées.

La rédaction d’Armande est plus brève et plus vague que celle de sa sœur ; c’est moins un récit d’événement qu’un tableau ; il y a quelques expressions curieuses, beaucoup de banalité comme dans la rédaction précédente, peu de faits précis, un ton émotionnel évident[1].

  1. J’ai essayé d’étudier les procédés imaginatifs de mes deux sujets en leur faisant imaginer des objets et des formes avec des taches d’encre. Ce