Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai essayé d’étudier avec les deux fillettes cette question délicate entre toutes ; je ne me flatte pas d’avoir trouvé une solution précise ; mais il m’a semblé que mes deux sujets font assez bien la distinction entre la pensée et les mots. Avec Marguerite j’ai fait des expériences en la priant de lire à haute voix, ou de calculer, ou de siffler, ou de répéter une phrase ou une syllabe, pendant que je lui adressais une question qu’elle devait comprendre et à laquelle elle devait trouver une réponse. Quelques-uns de ces artifices l’ont empêchée d’avoir du langage intérieur, surtout au premier essai ; car on s’habitue vite à toutes les situations ; et quand on répète plusieurs fois de suite l’expérience, on arrive à avoir involontairement du langage intérieur, même pendant qu’on occupe activement ses organes d’articulation ; dans les cas les plus favorables, où l’inhibition s’est produite d’une manière satisfaisante, Marguerite a eu des images visuelles, et, en outre, comme elle l’a répété souvent, elle a éprouvé un sentiment, par exemple le sentiment que la personne dont on lui parlait dans la phrase lui était familière ou le sentiment qu’elle devait répondre non à la question posée ; elle a ce sentiment avant de se dire tout bas le mot non. Avec Armande, je n’ai pas fait d’expérience analogue ; je me contentais de lui poser une question, elle répondait, puis je lui demandais d’analyser sa réponse. Un exemple particulier vaudra mieux qu’une explication longue. — D. Où se trouve en ce moment ton chapeau ? — R. Celui que nous mettrons aujourd’hui se trouve dans le cabinet aux lampes. — D. Comment vient-elle, cette phrase ? — R. Elle est préparée par plusieurs pensées. Je ne prépare pas la parole. Elle est presque comparable à une image. La réponse en mot m’apparaît comme une image qui coupe la pensée. La pensée, c’est quelque chose que je sais brusquement sans l’avoir cherché par des mots ; elle m’apparaît comme un sentiment quelconque. Je ne sais