Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Trop matérialiser la pensée, c’est la rendre inintelligible. Penser n’est pas la même chose que de contempler de l’Épinal. L’esprit n’est pas, à rigoureusement parler, un polypier d’images, si ce n’est dans le rêve ou dans la rêverie ; les lois des idées ne sont pas nécessairement les lois des images, penser ne consiste pas seulement à prendre conscience des images, faire attention ne consiste pas seulement à avoir une image plus intense que les autres. Nous avons constaté — et je crois bien que ce sont là des faits dont il est impossible de douter — que certaines pensées concrètes se font sans images, que, dans d’autres pensées l’image n’illustre qu’une toute petite partie du phénomène, que souvent même l’image n’est pas cohérente avec la pensée ; on pense une chose et on s’en représente une autre.

Voilà notre conclusion précise et démontrée ; qu’il me soit permis d’aller un peu plus loin, et de terminer ce chapitre par une hypothèse ; je me suis donné à moi-même une explication du mécanisme de la pensée ; je veux la résumer ici, en le séparant bien nettement de ce qui précède.

Il me semble difficile de supposer que l’image — j’entends l’image sensorielle, dérivée des perceptions des sens — puisse être toujours coextensive à la pensée. La pensée se compose non seulement de contemplation, mais de réflexions ; et je ne vois pas bien comment la réflexion pourrait se traduire en images, autrement que d’une manière symbolique. Dans nos observations précédentes, l’image était presque toujours visuelle, et elle ne mirait presque toujours que des objets matériels ; elle n’a jamais représenté un rapport. J’ai peine à comprendre qu’on puisse trouver en images mentales l’équivalent de cette pensée si simple exprimée par Marguerite : je vais être en retard pour la leçon ! Je m’imagine volontiers quelqu’un qui court, ou une élève effarée qui regarde avec désolation