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douleur, à envisager avec plus de calme le fait accompli[1], il n’oublia jamais l’injure sanglante qu’il avait reçue.

Charles le Mauvais s’était vengé avec trop d’éclat pour n’être pas exposé à de terribles représailles. Non seulement il était menacé de perdre toutes les terres qu’il possédait en France, mais, s’il fût tombé aux mains du roi, il aurait pu craindre pour sa vie, Jean II paraissant déterminé à mesurer le châtiment à l’offense. Dans cette extrémité, le roi de Navarre n’éprouva, semble-t-il, aucune hésitation sur le parti à prendre. Le 10 janvier, – le surlendemain du meurtre, – il écrivait à Édouard III, au prince de Galles et au duc de Lancastre pour réclamer l’assistance des Anglais[2]. À Édouard III, il demandait de se tenir prêt à entrer en campagne au premier avis qu’il lui ferait tenir. Le temps pouvant manquer au roi d’Angleterre pour intervenir personnellement, il était prié de donner à son « capitaine de Bretagne » l’ordre de répondre à l’appel du roi de Navarre avec toutes les forces dont il disposait, et, en attendant, de concerter son action avec les garnisons navarraises du Cotentin[3]. À Lancastre, il rappelait les offres de services qu’il en avait reçues dans une circonstance récente. Le moment était venu, pour le roi de Navarre, d’éprouver le dévouement de ses amis. Que le duc voulût donc bien réunir à Calais et à Guines le plus grand nombre

  1. Le pape Innocent VI, qui fut pendant longtemps la dupe du roi de Navarre, ne trouvait pas d’autre consolation à adresser à Jean II que de lui conseiller la résignation, le malheur dont il gémissait étant irréparable : « Licet casus quondam Caroli de Ispania… displicuerit valde nobis, quia tamen necesse est ut scandala veniant et non possunt preterita revocari, expedire credimus, multis considerationibus persuasi, quod serenitas tua id equanimiter ferat et quadam mansuetudine benigne supportet, etc. » (Reg. Vat., no  236, fol. 29b, ad an. 1354, februarii 16. — Cité par le P. H. Denifle, la Désolation des églises en France pendant la guerre de Cent ans, t. II, 1re part. Paris, A. Picard, 1899, in-8o, p. 99, n. 5.)
  2. Kervyn de Lettenhove, Froissart, XVIII, p. 350-354. On n’a conservé que les lettres adressées à Édouard III et au duc de Lancastre. Beaucoup d’autres lettres furent expédiées par la chancellerie navarraise, soit pour justifier le meurtre commis, soit pour demander du secours contre les amis du connétable. (Secousse, Mémoires, etc., p. 33.)
  3. « Veulliez mander à vostre capitaine de Bretaigne. etc. » Le lieutenant d’Édouard III en Bretagne était alors Jean Avenel, qui avait succédé à Gautier de Bentley, et que devait remplacer Thomas de Holland. (S. Luce, Hist. de Bertrand du Guesclin, p. 121, 131.)