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attribua la boussole à Amalfi. Mais sa phrase donnait lieu à une méprise, qu’on se garda bien de ne point commettre. On transforma en inventeur l’écrivain du xve siècle[1].

L’équivoque fit son chemin, la mauvaise lecture des manuscrits ou imprimés fit de même. Et, à la fin du xvie siècle, le « Flavio quodam » avait pour état civil Flavio Gioja, puis Jean Goya d’Amalfi, inventeur de la boussole vers l’an de l’Incarnation 1300[2], ou même, on précisa, en 1302[3].

Donc, résumons : la légende qu’on a mis deux siècles à bâtir et qu’on a adoptée ensuite sans discussion ne repose sur rien. Flavio Gioja est un mythe, la date et le lieu de l’invention sont controuvés. Toute l’enquête est à recommencer sur nouveaux frais. Le premier indice à recueillir, c’est une mention de l’inventaire du Saint-Nicolas, auquel nous revenons après un long détour. Il y avait à bord deux calamites ou aiguilles de mer.

Or, en 1294, les recherches et les tâtonnements des marins semblent en voie d’aboutir. La calamite est agrémentée de tout un attirail, inventorié, hélas ! trop sommairement sous la rubrique « apparatus » : « calamita cum apparatibus suis. » Que faut-il comprendre dans ces accessoires de la calamite : le roseau qui la soutient sur l’eau ? la rose des vents, « stella maris, » dont parle Raymond Lull ? ou même, car le pluriel d’« apparatus » autorise toutes les suppositions, la boîte où était renfermé l’instrument ? Je ne sais. Mais il n’y a plus qu’un léger rapprochement à faire pour trouver la boussole. Non loin de la calamite, l’inventaire du Saint-Nicolas mentionne une « bussula de ligno » de la contenance d’une once et demie de vif-argent[4].

Ainsi, l’habitat du mot boussole se trouve fixé : c’est un vocable d’origine sicilienne, dont le sens primitif est « petite boîte de

  1. Bertelli, p. 152.
  2. Abraham Ortelius, Theatrum orbis terrarum. Anvers, 1570, in-fol. — D’autres erreurs se greffèrent sur les premières, si bien que le Flavio Biondo de Forli, écrivain, devint Jean Goya de Melfi dans les auteurs du xviie siècle. (Cf. les exemples cités par Bertelli, p. 163, 168-180.)
  3. La « bussola… venisse attribuita a Flavio di Melfi o Flavio Gioja Napolitano circa l’anno 1302. » (Stan. Becchi, Istorie dell’ origine e progressi della nautica antica. Firenze, 1785, p. 69.) — Arrivée à cette précision, la légende est reproduite, avec méfiance ou non, par les écrivains contemporains. (Guglielmotti, Storia della marina Pontificia. Firenze, 1871, in-8o, I, p. 418-423. — Bertelli, p. 190-208.)
  4. Cf. infra, p. 408.