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I. La carte marine.


Dans un texte des plus controversés jusqu’ici, Raymond Lull disait que les pilotes usaient de quatre instruments nautiques : « Chartam, compassum, acum et stellam maris, » carte marine, compas, aiguille aimantée et rose des vents. Raymond Lull écrivait entre 1286 et 1295[1]. Il était de Majorque.

Or, la première carte majorquaine que nous connaissions, celle de Dulcert, est de 1339 seulement ; elle présente, dans sa nomenclature, des coïncidences frappantes[2] avec une carte arabe plus ancienne, originaire de l’Afrique occidentale et appelée pour cette raison la Maghrébine. Et, comme Raymond Lull avait institué dans les États du roi de Majorque une haute école monastique pour les études arabes, on se demandait s’il ne prenait pas d’avance ses desiderata pour des réalités et si ce n’était pas lui qui avait introduit en Catalogne la cartographie arabe.

Lull avait beaucoup voyagé et rien ne nous dit qu’il entende parler des pilotes de sa patrie. Or, de son temps, il existait une région où les instruments nautiques qu’il indique étaient d’un usage courant. C’était la Sicile, et c’est l’inventaire du Saint-Nicolas de Messine qui nous le révèle. En 1293, au moment de la capture du navire, il n’y a pas moins de trois mappemondes à bord, dont l’une est accompagnée d’un compas, « mappamundum unum cum cumpasso[3]. » Cette dernière était entre les mains du patron, les autres appartenaient au second et à un simple matelot.

Un siècle et demi auparavant, Edrisi rédigeait à Palerme sa célèbre géographie ou Récréation de celui qui désire parcourir les pays, qu’il terminait en 1153. Voilà le point de départ de la cartographie sicilienne : il est encore arabe ; mais comment, de la théorie, passa-t-on à la pratique et quand les marins usèrent-ils des connaissances rassemblées par Edrisi ? Si nous tenons les deux extrémités de la chaîne, les anneaux intermédiaires nous échappent. Il est certain que l’on commença par composer des cartes réduites et spéciales d’une région déterminée[4].

  1. Cf. l’article de d’Avezac, dans le Bulletin de la Société de géographie de Paris, 1860, I, 354.
  2. Dr  É.-T. Hamy, Études historiques et géographiques. Paris, 1896, in-8o, p. 31.
  3. Cf. infra, p. 408, 409.
  4. C’est ce que disait déjà Ruscelli en 1561 dans ses commentaires sur Pto-