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oublier le monde entier, s’enfoncer dans la profondeur des forêts, des déserts affranchi de toutes les fausses idées d’une fausse société : être franchement soi en pressant la main d’un autre soi-même, oser dire ce que l’on pense, ce que l’on sent, ce que l’on éprouve, se laisser être heureux voilà la vraie sagesse. Ce bonheur il le voulait, à tout prix, il le trouverait. Dans cette détermination il entreprit ses longs voyages.

Sa première étape fut au Caire. Arrivé à l’endroit où le plus grands des guerriers harangua ses soldats, le sculpteur s’arrêta impressionné, saisi d’émotion devant la face sinistrement triste du sphinx, monstre de l’antiquité placé entre les trois pyramides, dont la majestueuse grandeur lui forme une garde royale. Dorées des rayons jaunissant d’un ciel où le soleil s’endormait, elles lui parurent d’une faste légendaire. Le génie des siècles passés l’enthousiasmait. En contemplant la figure morne, le regard sombre du colosse, qui semble reprocher au temps d’avoir enfoui ses griffes dans le sol, d’avoir assoupi sa force en l’enlisant jusqu’au cou, de l’avoir presque désarmé en lui enlevant son prestige d’incompris, Lionel se sentit envahi d’une triste mélancolie ; lui aussi depuis des années était incompris, il ne pouvait trouver celle qu’il cherchait. Au fond de son âme, il demandait la lucidité du malheureux