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le débutant

Pour traduire convenablement, une langue étrangère, il faut surtout de la pratique. Les traducteurs inexpérimentés s’attachent aux mots plutôt qu’au sens de la phrase, et il en résulte qu’ils embrouillent, tout, et n’y comprennent rien. Paul Mirot ne devait pas faire exception à la règle. Le premier feuillet de dépêche de l’Associated Press, qui lui tomba sous la main, le soumit à une dure épreuve. Il s’agissait de suffragettes arrêtées à Londres charged with conduct likely to create a breach of peace. Il traduisit : chargées avec une conduite…, et s’arrêta, terrifié de ce qu’il allait écrire, puis recommença la traduction.

C’est alors qu’il comprit que les professeurs du collège de Saint-Innocent auraient mieux fait de lui enseigner un peu moins de grec et de latin et plus d’anglais. Mais là, comme dans d’autres maisons d’éducation canadiennes-françaises, on se souciait peu d’enseigner la langue de Shakespeare, indispensable pourtant à tout homme qui veut faire son chemin dans une colonie britannique dont la grande majorité de la population est anglaise. Savoir l’anglais, pour certains esprits étroits et fanatiques, n’est-ce pas pactiser déjà avec l’ennemi ? Savoir l’anglais, n’est-ce pas devenir un peu protestant, même franc-maçon ? D’une heure à trois, il donna une demi colonne de copie, ayant dépensé autant de forces cérébrales qu’il en fallait au secrétaire de la rédaction pour rédiger ses coups de plume, l’espace d’une année entière.

Le journal sous presse, tout le monde respira. Les pipes furent allumées et on se réunit par petits groupes pour causer en attendant que le garçon de l’imprimerie eut apporté le numéro du jour dans lequel chacun était anxieux de relire sa prose.

Jacques Vaillant, après avoir présenté le nouveau confrère à tous ses camarades, prit deux exemplaires

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