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le débutant

rèrent les combattants qui, heureusement, n’avaient aucun mal. Miss Marshall sauta au cou de son sauveur et l’embrassa devant tout le monde, ce qui scandalisa à un tel point le notaire Pardevant, qu’il crut devoir excuser la société dont il avait l’honneur d’être le président, d’avoir permis à des gens de cette espèce de faire partie de l’excursion. L’esprit troublé par la frayeur qu’il avait éprouvée, en même temps que par la scène, charmante comme une vieille estampe, dont il venait d’être le témoin, le brave homme bafouilla et dit, en terminant sa courte harangue : Messieurs les membres du clergé, ainsi que les autres sauvages, veuilles croire à ma plus sincère estime et reconnaissance pour votre généreuse hospitalité.

Le samedi suivant, dans le compte-rendu de l’excursion de la Société des Chercheurs à Caughnawaga, Le Flambeau reproduisait textuellement ces paroles du président, précédées de commentaires dénonçant sa lâcheté et son manque de tact en cette occasion. Le journal fut immédiatement poursuivi devant la cour supérieure. Le notaire Pardevant réclamait deux mille dollars de dommages-intérêts, le tribunal lui en accorda cent. Les frais de justice s’élevant à quatre cents, Le Flambeau dut payer cinq cents dollars pour avoir dit la vérité. Le savant juge, dans ses considérant, admit que la liberté de la presse n’existait pas au Canada ; il alla même plus loin et posa en principe que cette liberté ne pouvait exister dans un pays soucieux du maintien de ses traditions, basées sur la reconnaissance de la hiérarchie sociale et le respect de l’autorité religieuse et civile. Le notaire Pardevant était, du reste, un homme considéré et considérable, d’une conduite exemplaire. Il avait épousé les quatre sœurs, les trois premières avaient déserté sa tendresse pour un monde meilleur ; la dernière, âgée de dix-huit

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