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toute une armée de grands hommes ; il en est tout autrement q nana on recherche la qualité, au lieu de la quantité des ouvrages ; ce qui n’empêche pas que nous ayons à la tête du mouvement littéraire une petite phalange, un bataillon serré d’hommes illustres dont la France s’enorgueillit à bon droit. Mais dans les régions inférieures, où nos lilliputiens foisonnent et s’agitent, il faut avouer qu’on parle de singuliers idiomes ! On dirait que Dieu, voulant punir ces écrivains de toute espèce des monstrueuses aberrations de leurs pensées et de l’orgueil toujours montant de leur cœur, les a frappés d’une nouvelle confusion des langues ; et, si nous n’avions pas une autre Babel, nous en élèverions facilement une qui toucherait de la terre au ciel, en empilant ces myriades de volumes que chaque armée voit éclore et périr : l’un, au moins, console un peu de l’autre ; il n’y a que les auteurs qui ne se consolent pas de cette fin prématurée de leurs œuvres. Ce qui précipite tant de jeunes écrivains dans la mauvaise voie, c’est le manque de précision dans les idées, de forme arrêtée sur aucune matière ; de là l’impropriété des termes, et celles des tours. On cherche à se distinguer par le langage, parce qu’on ne saurait se distinguer par l’esprit ; on assemble, on accumule forcément des figures incohérentes, et l’on donne cela pour de l’imagination ; on s’étudie à trouver des alliances de mots inusitées ; dont le moindre défaut est une prétentieuse recherche, et l’on croit faire du style. La pente est rapide, le torrent envahisseur ; quelle digue lui opposer ? Un bon, un vrai Dictionnaire.

Celui que nous avons entrepris atteindra-t-il ce but ? Répondra-t-il à toutes les exigences ? Nous ne savons. C’est au pays que nous l’offrons ; il a été entrepris pour son honneur, et avec l’intention que nous ne fussions plus réduits à céder la palme de la lexicographie aux nations étrangères. Nous n’avons certainement pas la prétention de croire que nous soyons arrivé à la perfection du premier coup ; mais, malgré son imperfection, nous croyons notre travail supérieur à tout ce qui a été fait. Rien de semblable jusqu'ici n’avait encore été tenté. Nous sommes entré dans une voie tout à fait nouvelle, et si parfois il nous est arrivé de faillir, qu’on veuille bien considérer que nous n’avons succombé que sous le faix d’une tâche qui n'a encore été achevée par aucune force humaine. Quant à ceux qui ne verraient que les omissions, les inadvertances dans lesquelles nous avons pu tomber, et oublieraient les nombreuses améliorations que nous avons essayé d’introduire, nous leur dirons ce que d’Alembert disait à propos de l’Encyclopédie : « Ceux qui ont attaqué cet ouvrage auraient été bien embarrassés pour en faire un meilleur, et il est si aisé de faire d’un excellent Dictionnaire une critique tout à la fois très-vraie et très-injuste ! Dix articles faibles qu’on relèvera contre mille excellents dont on ne dira rien, en imposeront au lecteur. »

Nous serions bien certainement coupable d’ingratitude si nous terminions ces lignes sans offrir ici le tribut de notre reconnaissance aux nombreux souscripteurs qui se sont empressés de nous honorer de leur précieux suffrage, ainsi qu’à la presse de Paris et des départements, dont les éloges sont venus dominer les quelques critiques malveillantes qui, dès le principe, cherchaient à se faire jour.


Avant la publication de notre Dictionnaire, celui de M. Landais s’intitulait tout simplement : Dictionnaire général des Dictionnaires, ce qui pouvait paraître un peu ambitieux ; mais du moins il n’y avait rien à dire sous le rapport de la correction. Depuis, on a trouvé que ce qui n’était que français n’était pas tout à fait français ; et jaloux d’une épithète qui fait partie de notre sous-titre, on a mis : Grand Dictionnaire général des Dictionnaires. Jamais emprunt ne fut plus maladroit, et il est honteux qu’un Dictionnaire français ou qui a la prétention de l’être, débuté précisément par un ridicule pléonasme. Si M. Landais est tenté de nous faire plus tard quelques emprunts, ce qui ne peut manquer d’avoir lien, nous souhaitons du moins qu’il soit plus heureux.