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la littérature ; et si Boiste eût cherché ses exemples dans nos bons écrivains, ce secret cessait d'en être un pour lui. Il est vrai qu’il y perdait le mérite de ses traductions, mais aussi nous y gagnions d’avoir des Français pour modèles. Viennent maintenant en sous-ordre les Dictionnaires de Raymond et de Landais. Nous ne dirons rien de celui de Raymond, parce que l’auteur, sentant le besoin de se faire lui-même justice, a voulu recommencer son œuvre sur un plan beaucoup moins défectueux, sur un plan supérieur peut-être à celui de Boiste ; par malheur, il s’est arrêté dès les premiers pas, et nous en exprimons ici notre regret sincère, car c’est une louable chose qu’un homme travaille pour le bien sur de nouveaux frais ; et il est fâcheux qu’après avoir pu achever un livre moins que médiocre, on soit contraint de suspendre la publication d’un bon. Nous voudrions être à même de nous taire ou de tenir le même langage à l’égard du Dictionnaire de M. Landais ; mais comme cet ouvrage a passé en faisant quelque bruit dans le monde, il est nécessaire que nous en rendions compte, quitte à troubler un peu la cendre des morts. Après tout, ce ne sera pas un sacrilége ; car M. Landais ne s’est pas toujours montré ni trop loyal, ni trop juste, dans les jugements qu’il a portés sur les travaux de ceux qui l’ont précédé. M. Landais avait sous la main l’Académie, Laveaux et Boiste. Quel but devait-il raisonnablement se proposer en publiant, après eux, un Dictionnaire ? De faire mieux ; c’est à quoi se condamne tout homme qui travaille sur le même sujet que ses devanciers. Or, pour peu qu’il eût été doué de l’esprit d’analyse, il lui eût été facile de comparer, de juger ces Dictionnaires l’un par l’autre, de signaler et de trouver les écueils, d’entrer dans la bonne route, et de l’élargir par sa propre méthode ; en un mot, de tenter avec gloire et profit une réforme urgente et généralement sentie dans le domaine de la lexicographie française. En fait, quelle œuvre a-t-il produite ? Une œuvre non pas supérieure, ni même seulement égale, mais de beaucoup inférieure à celles qu’il lui était commandé de surpasser. Abondance de mots et disette de choses, telle semble avoir été sa devise, et encore n’a-t-il été fidèle que sur le second point ; car, si les mots abondent dans ce Dictionnaire, ce sont en grand nombre des mots vieillis et passés, qui ne tiennent en rien à la langue usuelle ni au progrès des idées ; des mots extraits sans discernement du Dictionnaire de Trévoux, dans lequel on a laissé, soit dit en passant, toutes les bonnes choses qu’il y avait à prendre ; des mots, enfin, qui, semblables à des herbes nuisibles ou parasites, ont enserré et étouffé le bon grain. Voulez-vous la preuve détaillée de tout cela ? La langue française, proprement dite, occupe à peine un quart du Dictionnaire de M. Landais. Jugez de ce qu’elle a pu devenir confinée dans un si petit espace ! La mythologie, au contraire, couvre de ses inutilités plus d’un tiers de l’ouvrage, et le reste est rempli par la technologie et les sciences naturelles. Encore, si l’on avait puisé à des sources vives et limpides, au lieu de recourir à des citernes perdues ; si, préoccupé avant tout de l’importance et de l’intérêt du Dictionnaire que l’on entreprenait, on s’était mis, pour toutes choses, à la hauteur des idées actuelles, plutôt que de rétrograder d’un siècle, alors on eût mérité l’approbation ou l’indulgence publique, sinon pour la qualité de l’œuvre en elle-même, du moins pour les efforts qu’avait nécessités son accomplissement ; car, en agissant ainsi, l’auteur, à défaut de talent supérieur ou de génie, faisait preuve de conscience. Mais voici de quelle manière M. Landais a procédé, et nous en parlons sciemment. Il a pris la langue telle qu’elle était dans l’Académie ; et, comme il ne lui accordait que peu de place, il lui a fallu la mutiler sans pitié. Il a réduit, bouleversé le nombre déjà si restreint des acceptions, et retranché tous les exemples, comme chose superflue. Il n’a tiré aucun profit de la lecture de Laveaux ; il n’a emprunté à Boiste que quelques mauvais mots parmi ceux du vieux langage, sans s’apercevoir du méthodisme et de l’analyse dont était doué ce lexicographe. Pour ce qui est de la mythologie et de l’histoire naturelle, Trévoux lui a suffi, et il l’a copié servilement, à la lettre ; c’est aussi là qu’il a trouvé ces longues et fastidieuses tirades qui n’ont jamais eu de valeur pour personne et qu’on ne supporte pas aujourd’hui ; telles sont les dissertations sur les agapes, sur l’étymologie d’Afrique, etc., etc. Encore faut-il établir une large différence entre le commencement, le milieu et la fin de son ouvrage ; plus l’auteur avance, moins il a de respect pour les formes de notre belle langue, et c’est à peine si son second volume en est le simple vocabulaire. Que serait-ce si nous avions à juger la capacité littéraire de M. Landais, sa capacité de grammairien, de philosophe, de linguiste, capacité que le lexicographe doit posséder à un haut degré, et sans laquelle c’est toujours témérité, sinon sottise, d’entreprendre un Dictionnaire !