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accepte tout, — la scélératesse humaine comme les catastrophes cosmiques, les atrocités de l’amphithéâtre, la cruauté des supplices, la coquinerie et la rapacité de ses amis, la luxure de sa femme, l’ignominie de son fils. Et quelle basse crédulité ! Ce disciple de Zénon consulte les mages chaldéens, se laisse duper par un vulgaire charlatan comme Alexandre d’Abonotique, et demande à ses dieux de lui révéler en songe un remède contre ses crachements de sang… Est-ce croyable ? Ne faut-il pas voir en lui un hypocrite ?… Tout au plus un pédant. Tu as dû, comme moi, t’arrêter à Rome, devant sa statue : c’est un honnête professeur de grammaire.

« Tu vois, cher Cyprien, combien je suis éloigné de ces hommes. Je suis aussi loin d’eux que tu peux l’être toi-même… Mais il importe que j’aille jusqu’au fond de tes soupçons. J’en suis sûr : tu t’imagines que, si je repousse l’idolâtrie sous toutes ses formes, je feins néanmoins, par ambition politique, de la professer publiquement. Cependant, tu devrais assez me connaître pour savoir que si, par exemple, j’ai accepté un sacerdoce impérial, c’est parce qu’il m’était impossible de faire autrement et aussi parce que j’y vois un moyen d’agir sur nos ennemis et de protéger nos frères. Les satisfactions du pouvoir ne m’ont jamais tenté. Je vais même t’avouer un sentiment bien peu chrétien, à mon grand regret : les hommes ne m’intéressent pas plus que leurs honneurs. Je les haïrais, si je n’étais obligé de croire qu’ils ont été rachetés par le sang du Christ. Je hais leur sottise et leur brutalité.. Il y a des moments où je voudrais m’enfuir, me retirer du monde, pour me donner tout à Dieu. Cher Cyprien, personne ne proclamera plus haut que moi le droit au silence et à la solitude, le droit pour toute âme de s’appartenir, et non point aux hommes. Depuis que tu me connais, mon rêve n’a pas changé : partir, m’en aller, être d’ailleurs, — ne pas être du municipe surtout !

« Que veux-tu que devienne un homme de vieille éducation commue moi, au milieu de l’agitation vulgaire et de