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peur de s’abandonner devant son ami. Il en éprouvait comme un remords. C’est pourquoi son premier mouvement avait été de lui écrire, en quelque sorte pour se disculper. Mais il s’était dit qu’il ne s’agissait pas seulement, en cette affaire, de lui et de Cyprien, mais des frères, de l’avenir de l’Église. Il fallait prouver à l’évêque que, contrairement à ses préventions, il s’intéressait à eux, s’employait de toutes ses forces à la défense de la cause ; il fallait aussi lui donner, non seulement quelques paroles d’espoir et de réconfort, mais des certitudes rassurantes. Maintenant, après son entretien avec Julius Martialis, triumvir de Cirta, il croyait pouvoir les lui offrir.

À peine était-il de retour à Muguas qu’il lui écrivit en ces termes :


« Cher Cyprien, je t’envoie cette lettre en toute diligence par Auster, mon coureur, afin que tu saches immédiatement ce que m’a rapporté l’homme envoyé par moi à Sigus. Une saison s’est écoulée depuis que nos malheureux frères ont réussi à t’écrire. Pendant ce temps, Baric, le ciseleur, et Gudden, le cordonnier, sont morts. Mais Privatianus, l’exorciste, est toujours vivant. Sache que je pars demain pour les mines, afin de voir ce qu’il est possible de tenter pour le tirer de là et d’abord pour le voir lui-même, pour lui porter le salut et les consolations de son évêque. Cher Cyprien, je me réjouis à la pensée que je vais tenir ta place là où tu ne peux être en personne. Sans doute, je ne la tiendrai pas aussi bien que toi. Mais ton souvenir sera présent au milieu de nous, et j’aurai la joie d’être plus près de ton cœur peut-être, en faisant ce que tu ferais toi-même avec tant de bonheur.

« Très cher ami, je sais que tu ne doutes pas de mon amitié. Mais pendant ton séjour à Cirta, j’ai bien deviné que tu doutes de mon âme. C’est peut-être autant ta faute que la mienne. Si je n’ai pas osé parler, peut-être aussi m’es-tu arrivé trop prévenu contre moi. Tu ne m’as