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marquent l’heure, et même la distance parcourue ! Mais goûte-moi ces dattes frites dans du beurre ! »

La fille aînée du fermier les apportait, en effet, dans des cassolettes de terre brune où elles mijotaient encore.

« Goûte, cher ami, cette surprise de ma cuisinière maurétanienne : je t’assure que c’est délicieux. »

Au même moment, des cris de douleur, puis des hurlements retentirent du côté des jardins :

« Ce sont les esclaves de Roccius que l’on fouette, dit Martialis. Son ergastule est ici tout près, adossé au mur du jardin… Ah ! il est terrible ! Écoute ! On entend siffler les verges !… Chez lui, il y a toujours quelque misérable lié au poteau, ou pantelant sous la fourche. L’imbécile : il considère cette sévérité comme une preuve d’attachement aux mœurs des ancêtres. Aussi se montre-t-il d’une dévotion outrée, insupportable. Il nous empoisonne avec la fumée de ses sacrifices. Les moindres fêtes sont chômées dans sa maison… Si tu entres dans son domaine, tu n’y verras que des autels couronnés de fleurs, des grottes consacrées et tapissées de guirlandes, des chênes hérissés de cornes de bœuf, des hêtres où se balancent des peaux de brebis, de vieux troncs façonnés en forme de divinités rustiques… Si tu traverses ses vignes, tu butteras contre des ceps encrassés par les libations. Dans ses champs, tu graisseras le bas de ta tunique, en frôlant ses bornes pieusement arrosées d’huile… Et il ne voyage jamais sans un petit autel portatif et tout un assortiment de statuettes devant lesquelles il fait sa prière… Naturellement, il est très animé contre les chrétiens.

– Laissons ce grotesque ! fit Cécilius, impatienté, et espérons que ses esclaves sauront le mettre à la raison… Mais, dis-moi, as-tu constaté chez Macrinius la même haine contre nous ?

– Le légat n’est qu’un fonctionnaire, répondit Martialis, il exécute des ordres.